lundi 25 janvier 2010

Avec les orthodoxes sous le signe de Dostoievski

Dimanche dernier, comme pour conclure la Semaine de l'unité, j'ai été invité à l'église de Saint Séraphim de Sarov, Rue Lecourbe, pour parler de Dostoievski. Accueil très chaleureux du Père Cernokrak, responsable de cette communauté et doyen de l'Institut Saint Serge, foyer historique de l'intelligence orthodoxe à Paris. Occasion de parler de ma vieille admiration pour Dostoievski. En parler à des gens dont c'est le patrimoine spirituel... En parler à plusieurs spécialistes présents, alors qu'on n'est soi-même qu'un amateur. Notre Frère Thierry a insisté, jouant avec succès les intermédiaires ; notre ami Henri Peter, dostoievskien de toujours, a bien voulu venir pour jouer un peu le rôle de jocker catholique de ma science défaillante. Mais je ne croyais pas trop à la fortune de cette entreprise.

Eh bien ! J'avais tort. Quelle chaleur ! Quelle amitié spirituelle spontanée entre ces fidèles de la divine liturgie de Jean Chrysostome et le passionné de la forme traditionnelle du rite romain que je suis. Faut-il faire l'unité ? Je crois plutôt qu'il faut respecter nos différences, qui sont nos richesses aux uns et aux autres. Richesse des formulations doctrinales, richesse des spiritualités, richesse des liturgies différentes, en cherchant le fond commun en profondeur, au lieu de s'essayer à construire des dispositifs humains trop humains...

Quant à l'unité, parce qu'elle est de Dieu, elle existe déjà. Il suffirait de la rendre un peu plus visible peut-être, si la Providence le permet. Il suffirait en tout cas dans l'immédiat de ne pas faire bêtement de nos différences des oppositions, en reconnaissant la Tradition profonde qui unit les traditions d'Orient et d'Occident.

Quant à Dostoievski, j'ai organisé ma conférence comme une défense de son christianisme viscéral contre les imputations d'Alain Besançon, qui l'accuse d'être l'un des artisans russes de la falsification du bien dans le livre, paru en 1985, qui porte ce titre. Pour faire bonne mesure, Besançon dans une Conférence de 2003 à l'Académie des Sciences morales reprend un texte de Claudel, d'ordinaire mieux inspiré, qui accuse Dostoievski de soumettre ses personnages à un polymorphisme psychologique qui leur fait perdre toute cohérence, en les mettant aux limites de la folie (schizophrénie dédoublement etc.).

Face à cette critique que je qualifierai de "classiciste", j'ai essayé de dire deux choses.

1- Certes comme dit Berdiaev dans un essai célèbre sur l'esprit de D. cet auteur est le plus grand philosophe russe, mais sa philosophie ne se déroule jamais de manière abstraite, elle est une expérience, l'expérience que Dostoievski fait avec chacun de ses personnages en le confrontant toujours à l'essentiel, en essayant de savoir quel est son Absolu personnel. Dostoievski philosophe in vivo, pendant que tant d'autre se contentent d'assembler des concepts. Ses personnages sont des forces avant d'être des formes (type du personnage fabriqué : le Julien Sorel de Stendhal). Et ces forces jouissent d'une sorte d'autonomie face à leur créateur. La mort du Prince Muychkine n'est pas voulue par D., le personnage la portait en lui elle s'est imposé tardivement à l'écrivain. Dans les nouvelles (v.g. Le songe d'un homme ridicule : 30 pages. Chers amis liseurs, lisez cela), cette force nous saute à la figure et l'écrivain semble nous laisser à nous lecteurs le soin d'interpréter l'explosion qu'il a produite. Mais cette force n'est pas l'énergie brute des Romantiques, dont il faudrait faire une oeuvre. Chez Dostoievski, elle est toujours gouvernée par une idée (ou un idéal), je dirais un logos. Et le roman est l'espace dans lequel chaque personnage trouve son logos. Non pas sa nature, mais sa vocation personnelle, qui lui fraye un chemin de vie parmi les événements terribles qui cachent et révèlent en même temps la sagesse de Dieu à l'oeuvre dans nos vies.

2- C'est l'expérience de la puissance du mal autour de soi mais aussi en soi qui fait aimer le bien auquel on aspire non comme à une abstraction philosophique mais comme une manifestation de la puissance de Dieu dans le concret de chaque existence. Loin de confondre le bien et le mal, Dostoievski en a une approche beaucoup plus théologique que philosophique.

1 commentaire:

  1. Dostoïevsky, comme c'est grand ! Vraiment.
    Sa pensée est tellement chrétienne qu'elle n'hésite point à fustiger sa propre perversion que sont les intégrismes, de gauche ou de droite, lefebvro ou moderno dirait-on de nos jours.

    Dans "Les Frères Karamazov" ou dans la vie, ce sont les "Grands Inquisiteurs" qui emprisonnent le Christ et viennent lui dire que sa méthode n'est pas bonne (tiens, on penserait au St Père et ses pourfendeurs de deux bords).

    L'Inquisiteur (et ses pendants extrêmistes d'aujourd'hui) demandent au Christ : "pourquoi es-tu venu nous déranger?" Jugeant la nature de l'homme indigne de la liberté que Jésus est venu apporter, et l'homme irrécupérable à jamais, ils rejettent en fait l'idée de la Rédemption.

    Quel est donc le programmes des "inquisiteurs" de tout bord ? Eh bien, identique ou très proche à celui du Démon qui tente Jésus dans le désert. Enfermer l'homme dans la servitude de la loi, des habitudes passives, des certitudes, du "miraculeux", qui vont satisfaire l'orgueil, l'avidité, l'idolâtrie. L'inquisiteur dit à Jésus : "tu voulais une foi qui soit libre et non pas miraculeuse, un amour qui soit libre, non les exaltations esclaves d'un prisonnier devant un pouvoir qui l'a terrorisé à tout jamais. Or, là encore tu as surestimé les hommes, puisque bien sûr ce sont des prisonniers..."
    Bref, bien le discours idéologique du Diable.

    Pour Dostoïevsky, le christianisme est libérateur et les idéologies (intégrismes, fanatismes religieux & athées) emprisonnantes. Mais, par peur, l'homme choisit rarement la liberté....

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