mardi 29 juin 2010

[brève] Intolérance (#1)

Dans une de ses récentes chroniques, l’abbé Laguérie écrit que «la religion de Jésus-Christ vit ses dernières années de tolérance» en France. Autrement dit, qu’il ne suffit pas aux laïcistes que les chrétiens soient devenus une voix parmi les autres. Cette voix, les laicistes la feront taire nous prévient l’abbé Laguérie.

Martine Billard s’applique à lui donner raison. Cette députée a choisi, aujourd’hui 29 juin, de «s’étonner» de la présence dans les tribunes de l’Assemblé d’une personne portant «en évidence des signes religieux». Elle visait l’Abuna Paulus, patriarche des Éthiopiens, venu en visite à l’invitation du député Pierre Forgues (PS).

Marc Laffineur (UMP) présidait à la séance. L’AFP nous donne sa réponse: les traditions de l’Assemblée ne sont pas «de demander aux délégations étrangères en visite de se changer avant d'entrer dans les tribunes».

C'est bon, donc. Pour cette fois?

dimanche 27 juin 2010

Chez Camboulas...

L'ancien tenancier du Tambour est une véritable figure dans le Premier arrondissement. Il avait disparu de la circulation après plus d'un demi siècle de bistrologie parisienne... Et je suis tombé dessus par hasard ce soir, dans un petit rade du quartier, Le cochon à l'oreille. Impossible d'imaginer Camboulas longtemps sans un comptoir. Et le comptoir de ce petit rade - en étain s'il vous plaît - c'est tout un poème - poème qu'interprète à sa manière celui qui vient de reprendre les rennes. Il se nomme lui-même par autodérision le clown BonBon (quitte à mettre le chapeau et le nez qui va avec l'appellation)... Mais la vie, pour lui c'est sérieux nous explique-t-il en citant Jean Genet comme d'autres citeraient Johnny, Brel ou Sardou. Les poètes maudits il aime ! Sérieux dans sa clownerie, Camboulas a donc pris le cochon l'oreille comme on prendrait le taureau par les cornes. Il exerce à nouveau son magistère bistrologique sur le quartier. Avis aux amateurs de truculence existentielle, qui en trouveront chez Camboulas, au 15 rue Montmartre...

Nous discutions fort gravement pourtant, ce soir : spiritualité s'il vous plaît. Un mot tellement ambigu... La spiritualité c'est quelque chose qui a toujours un peu l'air de nous promener dans les nuages. Mais cette spiritualité balladeuse, qui nous renvoie à je ne sais quelle expérience indicible, c'est souvent de la fausse.

Parenthèse : Je m'indignais récemment en lisant la conférence d'un thomiste émérite, Jean Pierre Torell, dominicain de son état, sur Théologie et spiritualité. La mode est à considérer saint Thomas comme un maître spirituel, en portant aux nues ses commentaires d'Ecriture, qui de plus en plus d'ailleurs (bonne nouvelle !) sont traduits en français par les bons offices des éditions du Cerf. Je crains que cette mode de la spiritualité thomiste ne cache une manière d'"intégrer" saint Thomas dans le Paysage théologique contemporain, en débitant son texte en tranches pour la méditation de séminaristes très mentalisants. Comme si le thomisme dans le texte se méditait ! Saint Thomas n'est pas un homme de méditation, ce n'est pas lui qui a dit : c'est le coeur qui sent Dieu non la raison... Pas lui, non. Ca c'est du Pascal. L'Ecole française du XVIIème siècle, avant même Pascal, avait théorisé la méditation et son organe principal, cette intelligence immédiate que l'on appelle justement - depuis Saint-Cyran - le coeur.

Quant au thomisme, il n'a jamais réfléchi à ces choses. le coeur qui sent Dieu, il ne connaît pas. Sa gloire c'est d'avoir introduit la dianoia, oui, la raison, au centre du dispositif théologique. la puissance du thomisme est celle de la "reddita ratio", de la raison rendue. On aime ou on n'aime pas. Mais priver saint Thomas du dynamisme des raisons,et de ce perpétuel et vivifiant aller/retour des principes aux application, c'est littéralement castrer son texte, lui enlever toute puissance, se condamner à perdre l'élan avec le mouvement de la pensée logique, toujours inventive, toujours aventureuse, jamais rassasiée des raisons qu'elle produit. Pourquoi inventer une spiritualité thomiste, alors que la souveraineté du thomisme n'a jamais été "le coeur" (ni l'intuition, ni l'émotion, ni rien de semblable) mais bien la raison dans son déploiement multidirectionnel et ultimement, dans son aspiration irrésistible et magnifique à la simplicité. Rien n'est moins fait pour la spiritualité méditative que le thomisme !

Mais - cette parenthèse refermée - revenons à Camboulas. C'est sa carte de visite baroque qui m'a donné des idées. il y cite le poète Victor Segalen, dans son recueil Stèles. Stèles... Tout un programme. Je fais remarquer à Camboulas que mes stèles à moi qui suis Breton, ce sont les menhirs. Il me rejoint sur ce tropisme-là. Pas étonnant, voici son choix poétique :

"De là ["là" est un adverbe de lieu, cela veut dire : nulle part ou quelque part : là] cette composition dure, cette densité, cet équilibre interne et ces angles, qualités nécessaires comme les espèces géométriques au cristal. De là ce défi à qui leur fera dire ce qu'ils gardent [Ah ! L'ontologie du secret...]Ils dédaignent d'être lus [et voilà l'herméneutique par dessus les moulins pour notre grand soulagement]Ils ne réclament point la voix ou la musique. Ils méprisent les tons changeants et les syllabes qui les affublent au hasard des provinces. Ils n'expriment pas ; ils signifient ; ils sont".

Prodigieuse montée de Segalen vers ce verbe tout simple : ils sont ! J'ai envie de dire : nous sommes. Nous n'exprimons rien. Nous sommes (ou au moins, nous essayons d'être). Saint Thomas, qui s'y connaissait dans l'être, disait que c'était d'abord une question d'épaisseur. Lui-même, sa place au réfectoire était marquée par un arc de cercle dans le plateau de la table, qui lui permettait d'être... à table.

C'est cet être qui fait toute la différence entre deux types de spiritualité, la fausse et la vraie. La fausse est la spiritualité sans l'être, comme le Dieu du même nom qui fascina naguère quelque philosophe. La vraie est la spiritualité des stèles, celle de Segalen, que saint Paul décrivait en une phrase lapidaire de la Ière aux Corinthiens : "Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés".

Une spiritualité qui nous change, qui nous installe dans un être nouveau, dans un nouveau destin, dans une existence de surcroît, c'est la spiritualité chrétienne, celle qui vient non du Noûs contemplatif, spécialité des Grecs (voyez le Livre X de l'Ethique à Nicomaque), mais du Pneuma qui à l'origine du monde planait sur les eaux, ce vent qui souffle où il veut, comme dit Jésus au chapitre 3 de saint Jean, ce vent qui ne se contente pas de décoiffer, mais qui emporte dans son élan, ceux qui se confient à lui. C'est cet esprit que nous autres chrétiens, trop souvent nous avons perdu, cet esprit au fond de nos coeurs, qui peut nous faire une foi à transporter les montagnes.

samedi 26 juin 2010

[conf'] Woody Allen au Centre Saint Paul

Pour la dernière conférence de l'année, le 29 juin prochain, je vous propose un sujet un peu surprenant, mais avant tout passionnant. Laurent Dandrieu, critique cinéma à Valeurs Actuelles, nous fera découvrir la personnalité profonde du cinéaste Woody Allen. Il vient de publier un livre intitulé Woody Allen portrait d'un antimoderne, aux éditions du CNRS et vous fera voir Woody Allen comme vous ne l'avez jamais vu.

Risquer le diagnostic de l'antimodernité d'Allen, c'est pratiquer une véritable psychanalyse du personnage, de son humour et surtout de son oeuvre. C'est apprendre à mieux se connaître soi-même. Et ne pas avoir peur des vérités éventuellement désagréables...

Voici à titre de mise en bouche l'avis de Woody Allen sur la politique française. Le dialogue est percutant :
"- Pour toi tout n'est que nihilisme, sarcasme et orgasme - En France avec un slogan pareil, je pourrais gagner les élection"... Ou peut-être même devenir l'entraineur de 23 hommes en bleu...

Ce dialogue cité en exergue du livre de Dandrieu est tiré de Harry dans tous ses états. Un film qui a plus de 10 ans. Ce qui n'empêche pas la formule de porter.

La conférence de Laurent Dandrieu est à 20H00 le 29 juin au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris)... Métro ? Bonne nouvelle !

Mardi 29 juin à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé).

[brève] Etat des lieux

Le Figaro note une «corrélation constante … entre la courbe de la pratique religieuse et celle des vocations» et n’attend donc pas d’amélioration dans les années à venir. Le Figaro note aussi «un dynamisme certain dans des congrégations plus classiques ou traditionnelles». En clair, les traditionalistes et les traditionalisants représentent «près d'un quart» des ordonnés. Encore est-ce «sans compter les huit Français qui seront ordonnés à Ecône, soit 10 % des ordinations des prêtres français cette année.»
Le Figaro nous propose, à la suite d’un très intéressant entretien avec le cardinal Vingt-Trois, un «état des lieux» sur les effectifs sacerdotaux en France : «19.640 prêtres, religieux et diocésains», dont «la moitié» a plus de 75 ans.

Côté relève: «La courbe des ordinations sacerdotales est désormais passée sous la barre des 100 annuelles», 83 plus précisément cette année, qui se concentrent sur «quelques exceptions urbaines» d’une part, et dans les «diocèses de Belley-Ars et Fréjus-Toulon» d’autre part. Ailleurs, il n’y pas plus ou presque plus d’ordinations.

Le Figaro note une «corrélation constante … entre la courbe de la pratique religieuse et celle des vocations» et n’attend donc pas d’amélioration dans les années à venir. Le Figaro note encore «un dynamisme certain dans des congrégations plus classiques ou traditionnelles». En clair, les traditionalistes et les traditionalisants représentent «près d'un quart» des ordonnés. Encore est-ce «sans compter les huit Français qui seront ordonnés à Ecône, soit 10 % des ordinations des prêtres français cette année.».

jeudi 24 juin 2010

Héroïsme chrétien

Belle réunion autour de Respublica christiana ce soir au Centre Saint Paul. Je n'ai pas compté (quand on aime...), nous étions une douzaine de contributeurs potentiels... Après le numéro sur l'identité au risque de la foi, qui vient de paraître, nous préparons quelque chose sur les conciles et les crises de l'Eglise, à paraître cet été et nous préparons un dossier sur l'héroïsme chrétien.

Il a été question d'héroïsme dans la bouche du pape assez souvent, en particulier en Tchéquie ce printemps. L'héroïsme ? Ce n'est pas un sujet pour frimer ou se faire plaisir. Au fond il y a autant d'héroïsmes que de formesde sainteté. Ne parle-t-on pas à ce sujet de "l'héroïcité des vertus" de celui qui est porté sur les autels ? lors s'il est vrai que la sainteté personnelle n'est pas facultative... le sujet est capital.

Laurent Tollinier nous explique d'abord que le héros antique est celui qui se donne pour sauver les autres. Je crois qu'il y a là une idée profonde : le rapport étroit qui existe entre héros et sauveur. Le salut est acquis par une forme ou une autre d'héroïsme. Disons que le christianisme a démocratisé cet héroïsme, car, dans le Christ, chacun doit être l'agent responsable de son propre salut.

Quant à l'idée de salut, quoi qu'on en pense elle existe depuis l'origine de l'humanité. Je ne parle pas seulement de la mythologie égyptienne. Platon aussi en est un bon témoin. Le vieillard Céphale, au livre I de la République, repasse toute son existence dans son esprit, sentant venir la camarde. Il espère dans le bien qu'il a fait et il craint pour le mal qu'il a commis.On peut multiplier les exemples de la proximité de cette idée de salut pour tout homme.

Ma dernière découverte m'a ému. Je faisais les caisses à livres sur les Quais, entre deux rendez-vous. Et je tombe d'abord sur mon ami Marc, qui, jeune retraité, vend des livres, puis, dans une de ses huit caisses, sur Les mots de Jean Paul Sartre. Un livre que je n'avais jamais lu. Je le feuillette. Sartre y parle beaucoup plus que je ne l'imainais de son christianisme, et dans une langue dont le classicisme m'a surpris. Mais la plus grande surprise est dans le texte...

Dans ce livre autobiographique, il me semble que les dernières lignes doivent avoir valeur d'engagement ultime sinon de testament spirituel. Voici ce qu'écrit cet athée militant à la fin des Mots : "Ce que j'aime en ma folie, c'est qu'elle m'a protégé, du premier jour, contre les séductions de l'élite. Jamais je ne me suis cru l'heureux propriétaire d'un talent. Ma seule affaire était de me sauver - rien dans les mains, rien dans les poches - par le travail et par la foi. Du coup, ma pure option ne m'élevait au dessus de personne : sans équipement, sans outillage, je me suis mis tout entier à l'oeuvre pour me sauver tout entier. Si je range l'impossible Salut au magazin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui".

On n'échappe pas si facilement que cela à la question fondamentale du salut Et à travers l'espérance qui nous en reste, nous possédons non pas le salut lui-même, mais la force ou l'élan pour le réaliser. Le jeune Pierre Boutang se demandait si Sartre était un possédé. Ce seul texte, à la fin des Mots, suffit à montrer que Boutang avait tort et que Sartre était comme tous les humains, l'objet des sollicitudes de son Dieu. Son athéisme ? Une haine, un refus : "Si Dieu n'existait pas ce serait une raison supplémentaire pour nous de le combattre"...

mardi 22 juin 2010

[conf'] Pourquoi et comment l'Eglise nous fait boire du vin

Telle est la prochaine conférence au Centre Saint Paul le 22 juin, mardi donc comme d'habitude. le conférencier, Jean-Baptiste Noé, est historien. Il vient de publier une thèse sur ce sujet, disons-le... sympathique.

Pour la circonstance, nous déboucherons ensemble quelques bouteilles d'un superbe rosé. Non, ce n'est pas un oxymore. Oui, vous m'en direz des nouvelles. Ceux qui méprisent les rosés sucraillés trouveront à en découdre avec un vrai bon vin !

Tout cela donc, histoire ecclésiastique du vignoble, des cépages et des crûs, puis travaux pratiques, mardi soir au 12 rue Saint Joseph (c'est à Paris hélas, pour ceux que ce metablog rejoint maintenant partout dans le monde)

Mardi 22 juin à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris) - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé).

mardi 15 juin 2010

[conf'] «Nouvelle controverse sur la philosophie de la démocratie» - par Maxence Hecquard

Mardi 15 juin à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris), «Nouvelle controverse sur la philosophie de la démocratie» - par Maxence Hecquard - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé). - La conférence est suivie d'un verre de l'amitié.

samedi 12 juin 2010

[brève] Reconnaissance des diplômes: Est-ce bien raisonnable?

Nicolas Sarkozy a demandé que l'Etat reconnaisse les diplômes de théologie que délivre l’enseignement supérieur protestant. A cette occasion, Jean Riedinger,  secrétaire du très peu traditionaliste «Observatoire Chrétien de la Laïcité», redit son opposition - y compris à la reconnaissance des diplomes des universités vaticanes.

Ses arguments? «il n’appartient pas ... à l’État de reconnaître les diplômes de nature théologique dont la pratique intellectuelle ... suppose une référence nécessaire à des convictions non universelles». Et aussi: «l’ambigüité entre l’autorité spirituelle et le pouvoir politique du Vatican».

Pour ma part, je préfère une troisième raison pour m'étonner de ces accords. Il s'agit de reconnaissance mutuelle et réciproque des diplômes délivrés. Mettre au même niveau une licence de philo obtenue à Paris-X-Nanterre... et trois années à la Grégorienne à Rome, est-ce bien raisonnable?

vendredi 11 juin 2010

Clôture de l'année sacerdotale : aimez !

Aujourd'hui, 11 juin, c'est la clôture solennelle de l'année sacerdotale. Devant des milliers de prêtres réunis Place Saint Pierre, Benoît XVI a fait repentance pour les fautes présentes de l'Eglise. Parlant des "abus à l'égard des petits" et des scandales pédophiles qui ont secoué l'Eglise un peu partout dans le monde, le pape a regretté. Il a promis. «Nous demandons avec insistance pardon à Dieu et aux personnes impliquées, alors que nous entendons promettre de faire tout ce qui est possible pour que de tels abus ne puissent jamais plus survenir», a ajouté Benoît XVI. C'est une repentance en bonne et due forme, en présence de ces prêtres si souvent mis en cause. Les traditionalistes pourront regretter que saint Jean Marie Vianney n'ait pas été solennellement déclaré patron de tous les prêtres du monde. mais cela se trouvait déjà dans le document d'indiction de l'année sacerdotale. A quoi bon le redire ? La repentance en revanche est quelque chose de très important..

Je me souviens qu'en 1999, en "réponse" modeste à la grande mode des repentance, l'association 496 avait organisé une grande réunion à la Mutualité sur le thème : "Une vraie repentance : les excès du concile Vatican II". A l'époque, je m'étais entendu dire : vous rêvez, ;l'Eglise, comme toutes les Institutions, ne se repentira jamais de son présent. Eh bien ! Benoît XVI vient de démontrer que l'Eglise n'est pas une institution comme les autres et qu'elle est capable de ce dont les autres sont réputés incapables. Quel rapport avec Vatican II ? me direz-vous. Dans sa Lettre aux catholiques irlandais, Benoît XVI lui-même a indiqué ce rapport. Pour lui, la pédophilie renvoie à cette tendance triomphante après le Concile, selon laquelle toute loi était considérée comme pouvant être enfreinte et tout interdit pouvant être brisé. Eric Zemmour n'a-t-il pas dit lui-même un de ces matins sur RTL que "Vatican II est l'acte de naissance de Mai 68". Il ne parlait pas là, bien sûr, du Concile oecuménique comme réalité théologique, mais plutôt du trop fameux "esprit du Concile" au nom duquel c'est bien dans l'Eglise que l'on a commencé à dire : "Interdit d'interdire". De la même façon que plusieurs leaders du mouvement soixante-huitard ont été aux avant postes du mouvement pour une libre sexualité, y compris avec les jeunes voire les très jeunes, dont Freud, le premier, avait dit qu'il s'agissait de "pervers polymorphes" (René Scerer, frère d'Eric Rohmer et bien sûr Dany le Rouge, même s'il a publiquement regretté plus tard certains de ses écrits). De la même façon des hommes d'Eglise ont pu se permettre des crimes contre les enfants au nom de l'esprit libéralo-libertaire qui est "l'esprit de Vatican II". La mention du concile dans la lettre du pape aux catholiques irlandais est extrêmement courageuse et significative... Ce pâssé récent qui ne passe pas, il va bien falloir le solder et la lutte contre la pédophilie peut être une occasion de régler son compte à un libertaro-christianisme mortifère aussi bien en liturgie [les laïcs peuvent et doivent tout faire] qu'en morale [comme disait un certain abbé Bissey pour sa défense devant le Tribunal de Caen : j'ai enseigné à des enfants à épanouir leur sexualité, ce n'est pas un crime. Tout juste si ce n'est pas un devoir...].

Quelle tristesse de voir des prêtres mêlés à ces scandales. De quoi faire perdre à l'Eglise plusieurs siècles n'hésitait pas à écrire le même Benoît XVI aux catholiques d'Irlande. La Vierge de La Salette n'avait-elle pas dit à Mélanie : "Les prêtres sont des cloaques d'impureté".

Et pourtant quelle beauté dans le sacerdoce ! Quelle grandeur dans le célibat sacerdotal, dans la liberté qu'il donne et dans la perfection auquel il contraint ! L'état sacerdotal doit être vécu de manière surnaturelle pour ne pas être vécu de façon monstrueuse. Voilà me semble-t-il la grande leçon de l'année sacerdotale. En latin cela se dit : corruptio optimi pessima. La corruption du meilleur est la pire.

Est-ce parce que c'est aujourd'hui la fête du Sacré Coeur de Jésus ? Ce "surnaturel" ne doit pas être une doctrine en contre plaqué que l'on professe à toutes occasions mais du bout des lèvres. "C'est le coeur qui sent Dieu et non la raison" disait Pascal. C'est l'intelligence du coeur qui nous rapproche de Dieu et non les froids calculs de la raison. C'est le coeur qui nous rapproche de Dieu, parce qu'il nous rapproche du coeur de Dieu. Mais qu'est-ce que le coeur de Dieu ? "Philippe qui m'a vu a vu le Père" (Jean 14, 5). Le coeur de Dieu se montre dans le coeur humain de Notre Seigneur Jésus Christ. Il n'y a pas de sacerdoce viable sans un coeur à coeur avec Dieu. On pourrait dire aux futurs prêtres ce que Félix Ravaisson donne comme le fin mot de sa "philosophie héroïque" : "Aimez et la grâce vous sera donnée par surcroît". Aimez ? Non pas désirez pour vous même mais cherchez pour les autres... Aimez !

Benoît XVI a merveilleusement dit cela dans son homélie de ce matin : "La liturgie interprète pour nous le langage du cœur de Jésus, qui parle surtout de Dieu en tant que pasteur des hommes et nous présente de cette façon le sacerdoce de Jésus, qui est enraciné dans les profondeurs de son cœur ; elle nous indique ainsi le fondement durable, tout autant que le critère valable, de tout ministère sacerdotal, qui doit être ancré dans le cœur de Jésus et être vécu à partir de lui."

jeudi 10 juin 2010

Réponse à Antoine, à Bigor et aussi à ceux qui ne comprennent pas...

Cher Antoine, cher Bigor, vous avez raison de défendre un successeur des apôtres. Ce légitimisme vous honore. Mais avez-vous lu le dossier de TC, dans lequel Mgr Lebrun est partie prenante, non seulement pour l'entretien que tout le monde a lu sur Internet mais pour un gros article sur la crise du sacerdoce, dans laquelle il annonce une "nouvelle réforme" qui nous fera passer de l'Eglise des prêtres à l'Eglise des laïcs et qui se fera sans problème... Je compte demander un entretien à Mgr Lebrun pour Monde et Vie, qui lui donnera occasion d'expliquer qu'il a été manipulé par les rédacteurs de TC. Cela n'est pas impossible. Mais il est tout à fait possible que Mgr Lebrun croit à l'utopie qu'il décrit et à la nouvelle réforme [moins sacramentelle plus catéchuménale] qu'il propose et dont il reconnaît d'ailleurs que "tous les évêques n'en partagent pas le projet".

Quant aux erreurs factuelles, je les confesse ici et m'en repens... Mais à ma décharge, j'ai cité l'évêque lui-même qui parle simplement (relisez le) d'une liturgie catéchuménale pour la Pentecôte (et non pas pour la Vigile de la Pentecôte). Je suis heureux de savoir que ses diocésains du dimanche n'ont pas manqué d'avoir la messe. Honnêtement, je ne fais pas un procès personnel à quelqu'un. J'essaie [depuis quelque 30 ans] de comprendre en quoi consiste la crise de l'Église, au moins dans la partie qui dépend de nous chrétiens, c'est-à-dire dans notre manière d'offrir le sacré. il me semble que lorsqu'on fait passer le catéchisme avant la liturgie (qui est un vrai catéchisme en image) on va du côté de l'Ecole du dimanche et de ce rationalisme pastoral qui fut celui de Calvin (avez-vous lu Calvin ? C'est saisissant quatre siècles après et c'est écrit... en français), mais qui n'est pas la tradition de l'Église catholique.

C'est dans ce contexte que je suis heureux de souligner combien Benoît XVI parle avec conviction du surnaturel au cours de son pèlerinage à Fatima. il en parle. Il en vit. Il se montre aux foules comme en vivant (Il paraît qu'il fallait lui taper sur l'épaule pour interrompre ses épanchements intérieurs). Ce ne sont pas les discours qui sauveront le monde, mais cette prière brûlante, muette et fidèle. Cette prière qui donne l'exemple. Cette prière publique, manifestant la présence du surnaturel dans la vie des hommes.

J'ai écrit que c'était le surnaturel accepté qui, pour Benoît XVI, formait la synthèse entre l'esprit des Lumières et l'anthropologie des temps à venir. L'esprit des Lumières a raison d'insister sur la connaissance, mais il s'étiole dans un rationalisme qui, considérant la raison analytique et calculante comme le seul moyen de connaissance, fait de l'homme un petit animal toujours en manque entre deux satiétés. Pour sauver les Lumières de la crise qu'elles portent en elles, pour nous sauver, pour nous protéger du réductionnisme des Lumières, le pape pointe ce que Pierre Manent appelle très bien quelque part "la force médiatrice dont l'Église catholique est détentrice". Et il évoque Hegel, qu'il a lu très attentivement, en parlant de "synthèse". Il y a une synthèse catholique possible après la crise de la modernité.

Quelle est la différence entre le dessein de Kant et celui de Hegel ? Je ne suis pas un spécialiste, mais je le caractériserait ainsi :

Kant est le résumé en allemand de l'esprit des Lumières. Il a d'ailleurs écrit une petite brochure intitulée : Qu'est-ce que les Lumières ? L'un de ses ouvrages s'intitule : La religion dans les limites de la simple raison. Pour lui, la raison doit refuser le mystère et s'en tenir à ce qui est donné dans la vie des hommes. Deux choses : d'abord une représentation du monde qui tourne autour du Sujet humain, puissance organisatrice de toutes représentations possibles ; ensuite une morale, qui n'est pas objet d'expérience, mais qui provient d'impératifs intérieurs, entièrement a priori, permettant à l'Homme universel de se donner à lui-même sa loi, de devenir "autonome".
Kant refuse l'idée même d'une révélation extérieure, historiquement cernable et théologiquement formulable, car cette idée dépasse "la simple raison".
Kant refuse toute métaphysique qui ne soit pas de nature morale. Il refuse de considérer qu'on puisse jamais se prononcer raisonnablement sur l'existence de Dieu, sur l'immortalité de l'âme ou sur la possibilité de la liberté humaine. Ces questions sont considérées par lui comme sans preuves (antinomies de la raison, diagnostique-t-il).

Hegel part de Kant. Il considère que l'esprit des Lumières, dont l'apogée est la révolution française, à laquelle Kant était si passionnément attachée, constitue une phase critique nécessaire dans l'histoire de l'esprit humain. Après les "affirmations" dont a vécu l'humanité, le XVIIIème siècle a apporté le doute et la négation. C'était nécessaire si l'on prend les choses dans un processus historique. il appartient ensuite d'élaborer une synthèse qui nous permettra de retrouver les fidélités anciennes (religieuses, politiques, morales etc.) mais pas comme des fidélités reçues et transmises. plutôt comme des fidélités choisies. Après l'universel négation révolutionnaire, on reconstruit par un choix humain, qui fait l'histoire et s'impose comme le nouvel horizon à partir duquel il est légitime de penser et hors duquel il est absolument vain de se situer. Ce nouvel horizon choisi, c'est donc la synthèse entre la thèse (la tradition morale et spirituelle de l'humanité) et l'antithèse (la critique universelle issue de la Révolution). Si on en reste à l'antithèse, on conçoit une liberté purement formelle et vide : c'est uniquement la liberté de nier. Si l'on accepte le processus historique, on sort du stade de la négation révolutionnaire et on redonne à notre liberté un objet choisi. Petite remarque au passage, qui explique le sang répandu par le cruel XXème siècle : cette reconstruction ne saurait être que collective. Ce sont les États (l'Etat prussien dont Hegel à Berlin est un fonctionnaire) qui fournissent l'idéal véritable de la reconstruction enfin pleinement moderne. On comprend que Marx, à gauche comme théoricien du communisme moderne, et Gentile, à droite comme théoricien du fascisme, aient été des disciples ardents de Hegel, des partisans ardents de la dictature du prolétariat prenant la forme d'un État prolétarien ou de la construction d'un état fasciste qui se dit lui-même un État "totalitaire".

Quel rapport avec Benoît XVI ? Le pape revient sur le processus historique. Il se confronte aux Lumières. Il ne souhaite pas une condamnation radicale, mais une "synthèse". "En ces siècles de dialectique entre l'esprit des Lumières le sécularisme et la foi, il n'a jamais manqué de personnes qui voulaient construire des ponts et créer un dialogue. Malheureusement la tendance dominante fut celle de l'opposition et de l'exclusion réciproque (entre l'Église et les Lumières). Mais aujourd'hui nous voyons que cette dialectique est une chance, que nous devons trouver la synthèse et un dialogue précurseur et profond". "Je pense que la tâche et la mission de l'Europe consistent justement à trouver le chemin de ce dialogue, intégrer la foi et la rationalité moderne dans une vision anthropologique unifiée qui rend compte complètement de l'être humain et permette aux diverses cultures de communiquer".

Lorsque le pape parle du surnaturel à deux ou même trois reprises, il évoque, un Dieu qui par la Vierge Marie touche à l'histoire et en modifie le cours. "La Vierge de Fatima, déclare-t-il, toujours dans l'avion qui le mène à Lisbonne, est pour nous un signe de la présence de la foi qui rejoint le cours de l'histoire dans son présent et l'éclaire". Quel est cet éclairage ? Celui des trois secrets qu'il a publié en 2002... Pour Benoît XVI, point hégélien mais simplement chrétien en cela, le surnaturel fournit la synthèse. Dieu et Dieu seul donne son sens à l'histoire. A nous de le comprendre, de le recevoir et de l'accomplir tout à la fois. La dialectique hégélienne ne fait que prêter son ordre scolastique à la manifestation du visage de Dieu que nous attendons tous...

Audacieux ? sans doute, mais nécessaire et nous permettant non pas de rattraper je ne sais quel cours de l'histoire par rapport auquel nous serions putativement en retard, mais de comprendre comment aujourd'hui encore, par Dieu et la Sainte Vierge, c'est l'Église qui fait l'histoire.

Benoît XVI

mardi 8 juin 2010

[conf'] «Ces chrétiens de Kabylie» par Saïd Oujibou

Mardi 8 juin à 20H00 au Centre Saint Paul (12 rue Saint Joseph - 75002 Paris), «Ces chrétiens de Kabylie» par Saïd Oujibou - PAF 5€, tarif réduit à 2€ (étudiants, chômeurs, membres du clergé). - La conférence est suivie d'un verre de l'amitié.

Monde et Vie et les Lumières

Très beau dossier de Monde et Vie sur le siècle des Lumières. Entretien avec Xavier Martin, l'homme qui a démythifié les Lumières, avant, j'espère, de les éteindre dans leur rayonnement sectaire. J'ai participé à ce dossier avec un article sur l'Eglise et les Lumières, dans lequel je passe rapidement en revue l'attitude des papes face aux Lumières de Benoît XIV (pape en 1750) à Benoît XVI, premier pape désigné au IIIème millénaire. Je cite la terrible proposition 15 du Syllabus. Je compare avec le n°3 de la déclaration Dignitatis humanae. Il y a vraiment un problème de cohérence à réaliser entre les deux textes. Quel meilleur moyen que celui que nous propose Benoît XVI : l'exercice d'une herméneutique de continuité.

Je vous renvoie à ce dossier. Il est puissant dans sa symphonie (voir le site de Monde et Vie).

Mais je voudrais souligner la doctrine de Benoît XVI quant aux Lumières. Dans l'avion qui le menait à Lisbonne, le Saint Père a eu l'occasion d'y revenir en évoquant la figure du Marquis de Pombal, reconstructeur de Lisbonne après le tremblement de terre de 1755 et grand persécuteur des jésuites. Son propos est à la fois un propos modéré, qui refuse l'opposition frontale entre la foi et les Lumières et déplore qu'elle ait existé, mais qui n'hésite pas à pointer le sécularisme comme la grande faiblesse des Lumières, qui enferme la culture de l'Occident en elle-même et l'empêche de dialoguer avec les autres cultures, qui font toutes une place au sacré, à la transcendance au divin.

Voici le mot de Benoît XVI au sujet des Lumières : "En ces siècles de dialectique entre l'Esprit des Lumières, le sécularisme et la foi, il n'a jamais manqué de personnes qui voulaient construire des ponts et créer un dialogue. Mais malheureusement, la tendance dominante fut celle de l'opposition et de l'exclusion réciproque. Aujourd'hui, nous voyons justement que cette dialectique est une chance et que nous devons trouver la synthèse et un dialogue précurseur et profond. Dans la situation multiculturelle dans laquelle nous sommes, on voit qu'une culture européenne qui serait seulement rationaliste, n'aurait pas la dimension religieuse transcendante. Elle ne serait pas en mesure d'entamer un dialogue avec les grandes cultures de l'humanité, qui ont toutes cette dimension transcendante, parce que c'est une dimension de l'être humain. Et donc penser qu'il y aurait une raison pure anhistorique existant seulement en elle-même et que ce serait là la Raison est une erreur. (...) La Raison comme telle est ouverte à la transcendance et c'est seulement dans la rencontre entre la réalité transcendante, la foi et la raison que l'homme se trouve lui-même". Et plus loin, le plan du Saint Père : "il faut intégrer la foi et la rationalité moderne dans une vision anthropologique unifiée".

La perspective historique est grandiose. il s'agit de rien moins que de modérer les Lumières, en utilisant la dialectique historique. Hegel contre Kant, mais un Hegel qui aurait déjà "effectué la synthèse".

Quelle est-elle cette synthèse, tout est là. Si cette synthèse était purement rationnelle elle ne serait pas catholique. Il me semble qu'à Fatima Benoît XVI a voulu réaliser cette synthèse dans le surnaturel. Un terme qui était banni de la Nouvelle théologie et qui revient en force sous la plume de Benoît XVI : "Une apparition, c'est-à-dire un événement surnaturel, qui ne vient pas seulement de l'imagination de la personne, mais en réalité de la Vierge Marie, du surnaturel".

Le surnaturel ? Mais c'est le problème de Mgr Lebrun, que nous évoquions dans le post précédent. Il ne voit pas la différence entre l'offre sacramentelle qui est surnaturelle et l'offre catéchuménale qui est celle d'une parole humaine se répétant ou essayant de se répéter sans radoter la Parole de Dieu... Entre les deux, en principe, y a pas photo. Le surnaturel ? Voilà la véritable lumière, celle qui éclaire tout homme venant en ce monde...

lundi 7 juin 2010

Une Eglise qui doute d'elle-même...

C'est une véritable souffrance de lire l'entretien (voir ici le récent post du webmestre) que Mgr Dominique Lebrun a donné à l'hebdomadaire Témoignage chrétien, qui conclut ainsi l'année du sacerdoce (clôture officielle le 19 juin). Souffrance et non indignation. On sent que cet évêque est sincère. On devine quels sont les terribles problèmes auxquels il doit faire face. Mais comment est-il possible que l''évêque prenne sur lui la responsabilité de redéfinir la mission de l'Eglise, au lieu de se contenter de la réguler, avec tous les moyens dont il peut disposer ?

Comment se fait-il que - volens nolens, qu'il en ait conscience ou non - il touche aux finalités mêmes de l'Eglise, au lieu de présider à son fonctionnement dans le diocèse qui lui est imparti ? Il prend une responsabilité qu'il n'a pas sur la nature même du service de l'Eglise et il ne prend pas la seule responsabilité qui lui revient de droit : celle du succès ou de l'échec des mesures prises pour le bon fonctionnement de l'Eglise telle qu'elle est.

Mais voici ce qu'il dit sous le titre entre guillemets : "Oublions le mot paroisse". "Je crois, déclare-t-il, que nous devons amplifier nos propositions catéchuménales, mais diminuer notre offre sacramentelle". Et de préciser : "A la Pentecôte, j'ai fait un rassemblement diocésain sans eucharistie". on sait comment se passent désormais ces "rassemblements diocésains". On supprime les messes à des km à la ronde et on oblige les gens à venir assister à la messe de l'évêque. Petite précision : pour la Pentecôte, pour la fête du Saint Esprit qui rend présent le Christ dans l'eucharistie... il n'y a pas d'eucharistie. Pas de messe. Simplement une proposition catéchuménale amplifiée.

Si les choses ont un sens, cela signifie que l'évêque préfère faire passer sa parole avant la présence réelle dans l'eucharistie. Et pourtant quelle meilleure manière d'évangéliser que de donner l'eucharistie ? "Je préfère faire ainsi que célébrer devant des gens qui n'y sont pas prêts". Pas prêts à l'eucharistie, les pratiquants du diocèse de Saint-Etienne ? C'est possible. Mais alors cela demande un sérieux examen de conscience de la part de leur évêque. Si la messe n'apporte plus rien aux gens, on doit se demander comment elle est célébrée. Le problème regarde les prêtres qui sont responsables de l'eucharistie et non pas les laïcs, auxquels elle est due, quelles que soient les préférences personnelles de tel ou tel.

L'Eglise telle que la rêve Mgr Lebrun est une Eglise qui s'est profondément réformée elle-même. Une Eglise qui a fait son deuil de... la messe, en dehors des grandes circonstances bien entendu. Même les ADAP (Assemblées dominicales en l'absence de prêtres) sont encore trop proches de la vieille messe : "Les ADAP ont échoué dans leur forme, déclare Mgr Lebrun. Les intuitions étaient justes, mais ces cérémonies étaient trop calquées sur la messe". Raison de cet échec. C'est Sylvain Brison qui la donne dans le dossier de témoignage Chrétien, qu'il faut se procurer intégralement : "elles peuvent induire une confusion, un sentiment de consommation". On doit redouter l'ADAP [avec distribution de la communion] parce qu'elle "chosifie l'eucharistie".

Mgr Lebrun "ne veut plus de carcan" explique doctement TC. Il pense que la réforme de l'Eglise se passera "facilement" et qu’un autre modèle d’Eglise naitra sans heurts : "Nous vivons sur le modèle paroissial depuis le concile de Trente, c'est inscrit dans les gènes. Nous en sommes à la deuxième ou troisième réforme : du latin au français, du prêtre aux laïcs. Le nouveau changement fera moins de problème".

Moins de problème ? Certes on a toutes les raisons pour qu'il n'y ait plus de prêtres dans les paroisses et que des laïcs, reconnus par l’évêque, tiennent les communautés. Contra factum non fit argumentum. « Cela fera moins de problème », peut-être, sur le terrain. Mais pour l'Eglise, ce sera simplement un changement de nature. Pour reprendre l'analogie de proportionnalité induite par Mgr Lebrun, s'il reste autant de prêtre après le deuxième changement qu'il est resté de latin après le premier, on ne reconnaîtra pas le visage de l'Eglise. Ce sera... une autre Eglise, si cela continue à être seulement quelque chose.

Car la première Eglise, l’Eglise des prêtres, est divine dans sa constitution. La seconde, cette Eglise où les prêtres seront très peu nombreux et où les messes seront rares, est pour l'instant un rêve de Mgr Lebrun... Rêve humain trop humain...

Et surtout rêve trop « clérical ». Quand on y réfléchit, le dilemme qui est posé entre une offre plus sacramentelle et une offre plus catéchuménale est le choix qui se pose entre une Eglise qui donne libéralement le surnaturel divin par le moyen de cet instrument du Christ qui est le prêtre et une Eglise de « clercs » (même si ce sont des « clercs » laïcs), une Eglise de parleurs, qui n’ont rien à donner que leurs propres paroles ou leurs interprétations à n’en plus finir de la parole de Dieu et qui risquent fort à l’usage de faire écran entre le Christ et la piétaille des fidèles que nous sommes.

Que d’hommes ! Que d’hommes entre Dieu et moi soupirait Jean Jacques, le Vicaire savoyard. En tant que protestant, on comprend qu’il ait eu à passer par quantité d’ »enseignants de la parole » qui devaient lui paraître plus ou moins stimulant. L’Eglise catholique, elle, ne propose pas seulement la parole et le torrent des docteurs, plus ou moins auto-proclamés, qui l’interprètent. Elle propose le silence d’une Présence. Elle propose l’accès immédiat et personnel de chacun à la présence de Dieu. Et cette présence, au moins dans le rite traditionnel, elle ne cherche pas d’abord à l’expliquer par d’interminables commentaires. Elle la manifeste en la rendant sensible par la beauté et par les gestes, en conduisant chacun à son propre sanctuaire intérieur, depuis lequel il offre, avec le Christ, le sacrifice parfait.

Faut-il « préparer » les gens à la messe ? A la messe selon le rite rénové, sans doute, parce qu’elle a été largement dé-ritualisée par les réformateurs. Mais j’ai expérimenté des centaines de fois en 20 ans de sacerdoce, le choc que représente, même dans des locaux modestes comme ceux du Centre Saint Paul, petite communauté de base traditionaliste au cœur de Paris, la manifestation de Dieu dans la liturgie traditionnelle. Je l’ai vu en particulier en Afrique, pendant mes deux premières années de ministère. Et je crois que, dans les banlieues, cette liturgie, à la fois démonstrative et silencieuse, aurait un véritable impact.

L’échec que décrit Mgr Lebrun est certainement très réel. Loin de moi l’idée de mettre en doute les belles intentions du Pasteur. Mais il représente avant tout me semble-t-il, l’échec d’une liturgie qui ne se porte pas par elle-même, dans laquelle il faut tout expliquer et qui se présente elle-même non comme un acte sacré, mais comme une longue explication, toujours différente d’ailleurs d’une prière eucharistique à une autre, et finalement lassante.

Le dossier sur le sacerdoce dans TC, dossier auquel participe Mgr Lebrun à plusieurs reprises, évoque le « carcan eucharistique » dont l’Eglise serait prisonnière. Je comprends de quel carcan il s’agit – celui d’une liturgie trop explicative et pas assez démonstrative.

N’est-ce pas là le vrai problème ? Dimanche soir (Fête Dieu), je suis passé devant Saint-Leu Saint Gilles : une église comble, de gens à genoux devant le Saint Sacrement exposé. La Présence muette de Notre Grand Dieu et sauveur Jésus Christ valait toutes les offres catéchuménales du monde !

dimanche 6 juin 2010

C'est de la com', coco!

Le Progrès de Lyon (26 mai 2010) rapporte que des prêtres lyonnais suivent un stage «pour améliorer leurs sermons». Parmi les trucs qu'on leur donne: «Pensez Barack Obama». Dans cette formule choc (on le leur dit, d'ailleurs, «n'hésitez pas à employer des formules choc») Obama n'est ni le sujet ni l'objet du verbe penser - c'est l'adverbe. C'est que nous sommes dans la com', avec ses tics de langage directement décalqués de l'anglais américain. On s’entraine. On s’analyse. «Laisse-toi aller à sourire, on en a assez des prêtres sinistres» dit-on à l'un. «C'était remarquable, tu étais décontracté» dit-on à l'autre. C'est le «Service d'optimisation des homélies» qui est en charge de prodiguer ces bons conseils à une «assistance plutôt âgée» de prêtres dont le Progrès de Lyon précise qu’ils sont «tous volontaires». On s'entraine, on s'analyse, et on reçoit des conseils, comme ce «Pensez Barack Obama» donc. Un animateur explique concrètement que le président américain «balaie constamment des yeux son auditoire, ainsi tout le monde se sent concerné par ce qu'il dit».

Il y aurait beaucoup à dire sur les dangers de la com', sur l'importation dans le domaine spirituel de méthodes marketing, et des formules choc qui sonnent toc. Mais surtout, ce qui me frappe, c'est cette impression de déjà vu, comme si on enseignait aux prêtres des années 2010 les techniques à la Séguela des années 1980. D'où vient ce sentiment?

Sur son site Christian Terras (de la revue Golias) propose une explication. La raison serait à chercher du côté de ces «nombreuses officines qui sévissent à l’heure actuelle dans l’Eglise catholique, souvent composées de ‘seniors’, bien pensants, nombreux et toujours force de proposition ‘au service de l’Église’, au nom de leurs compétences acquises lors de leur vie professionnelle active.» Autrement dit, si la com' de l'Eglise semble datée, c'est qu'elle l'est. Et si elle l'est, c'est qu'elle serait produite par de jeunes retraités qui refourguent aujourd'hui aux diocèses ce qu'ils vendaient avant-avant-hier aux entreprises.

Vu sous cet angle, on comprend mieux une récente campagne de promotion des vocations, avec «cartes postales gratuites» distribuées dans les cinoches, encarts publicitaires, prêtre façon BD, pin’s «Jesus is my boss» à sa boutonnière. C’était là la manière de parler aux jeunes pour lancer un nouveau chewing-gum, il y a trente ans. On comprend mieux aussi la campagne «En 2010, Jésus Crise» par laquelle le diocèse de Nancy a pensé relancer le denier du culte. Là, avec le petit slogan d’enfer («Donnez, que diable!») fait pour choquer-mais-pas-trop, on est dans une com’ de type fin des années 80.

Décidément très en verve, Christian Terras règle aussi son compte à ce 'penser Obama' («en vérité, si le président américain Obama tourne la tête à droite et puis à gauche … c’est pour lire sur des prompteurs translucides!»), et conclut par une charge à sa manière: «Pour couvrir les silences assourdissants des épiscopats sur les mœurs... de leurs ouailles, il leur faut faire beaucoup de bruit!».

jeudi 3 juin 2010

Félix Ravaisson et la philosophia perennis

Félix Ravaisson, philosophe français né en 1813 et mort en 1900, qui touche en même temps à Balzac, qu'il a fréquenté et à Bergson dont il a été le maître, est un personnage que l'on n'a pas assez écouté.Il représente ce me semble au seuil du XIXème siècle la tradition philosophique vivante, touchant à la fois à Aristote dont il a longuement commenté la Métaphysique, et à Schelling dont il se dit le disciple et qu'il est allé voir en Allemagne. Si l'idée de philosophia perennis a un sens et si l'idée d'un progrès de la réflexion philosophique et d'une vérité de la philosophie a un sens, il me semble que c'est dans son texte, toujours dense, à la fois infiniment respectueux des articulations classiques de la pensée et extraordinairement audacieux dans les analogies intellectuelles qu'il met en place, qu'il faut aller chercher ce sens. A l'instigation de Maxence Caron, les éditions du Cerf viennent de rééditer son travail sur Aristote. Mais tout le monde n'a pas le temps de se plonger dans l'exégèse minutieuse qu'il a donnée d'un des textes cardinaux de l'histoire de la Pensée humaine. On peut aussi se procurer son Testament philosophique, un petit volume publié chez Allia en 2008, et qui, lu attentivement, peut encore provoquer aujourd'hui des vocations philosophiques. Dans ce texte, pas de jargon. Un style clair. Des mots dont on devine qu'ils ont été pesés et soupesés, pour composer un message décisif. il ne faut pas chercher à lire trop vite. Seulement savourer. Votre esprit est spontanément chez lui chez Ravaisson. C'est toute la force de son classicissisme et sans doute le résultat de son invocation initiale (p. 13) et de sa recommandation finale (p. 117) au grand Bossuet : Ravaisson parvient à être consensuel sans être éclectique (il détestait la tambouille approximative de Victor Cousin).

Bossuet a réalisé le tour de force d'être à la fois thomiste et cartésien (sans ménager pour autant certains disciples de Descartes dont le rationalisme lui semblait excessif, même s'il s'agissait d'hommes d'Eglise, que ce soit Malebranche ou Fénelon). Je dirais que Ravaisson unit dans un même acte intellectuel Aristote, le Christ johannique, Descartes, Bossuet, Leibniz et Schelling. Et tout cela sans l'ombre de cet éclectisme dont il a dénoncé le caractère hétéroclite et le repli sur les acquis de la culture au détriment de l'élan de la pensée. Ajoutons, last but not least, l'extraordinaire humanité de sa pensée, perceptible dans la conclusion de son Testament philosophique.

Voici son... dernier mot : "Les héros disait le vieil Hésiode, veillent au salut des mortels. C'est une idée qui a pris sa place parmi les espérances chrétiennes. Détachement de Dieu, retour à Dieu, clôture du grand cercle cosmique, restitution de l'universel équilibre, telle est l'histoire du monde. La philosophie héroïque ne construit pas le monde avec des unités mathématiques et logiques, et finalement des abstractions détachées des réalités de l'Entendement ; elle atteint par le coeur, la vive réalité vivante, âme mouvante, esprit de feu et de lumière".

Philosophie héroïque, c'est le nom que revendique pour elle, sans fausse modestie, cette synthèse puissante. Si vous cherchez une belle initiation à la philosophie, procurez-vous ce Testament philosophique, qui aurait pu s'appeler, comme un autre texte de la même époque : J'entre dans la vie.

TC/Mgr Dominique Lebrun : « … et diminuer notre offre sacramentelle»

Mgr Dominique Lebrun est évêque de Saint-Etienne. Interrogé par Témoignage Chrétien, il explique mettre en place «des communautés de base, sans prêtres» dans deux zones rurales. Ces communautés devront «inventer, sans attendre un plan de l’évêque». Ce n’est pas que les paroisses soient caduques, mais les faire tourner exige «un quota de prêtres» dont le diocèse ne dispose visiblement plus. Dès lors, l’évêque doit faire avec les moyens dont il dispose: «j’essaye de partir de la réalité».

Confronté à cette réalité il voudrait «oublier le mot ‘paroisse’ et penser ‘terre de mission’», Au Vatican on lui a dit «comprendre la question» - mais le droit canon ne le lui permet pas, d’où peut-être son insistance à ce que ce soit les «communautés de base» elles-mêmes qui «inventent» ce nouveau système.

Si l'organisation est libre, Mgr Lebrun insiste sur «deux piliers: la prière avec la Parole et la charité». Pour ce qui est de la prière on se réunira «chez une personne ou à l’église, un jeudi ou un dimanche». L’important étant le «lien sacramentel». En gros, «des équipes itinérantes» mandatées par lui-même, composées de clercs et de laics, visiteront les «communautés de base». Ces équipes seront là pour «partager l’évangile, répondre aux demandes», et aussi «contrôler ce qui se fait» avec largeur d’esprit. Qu'on en juge: «Si une communauté aime dire le chapelet en latin, l’équipe ne critiquera pas».

Pour les sacrements, on va par exemple «regrouper les mariages», sur le modèle des baptêmes. Et puis le constat est là: lors d'un décès, les familles veulent «une célébration pour les funérailles» , mais quelque chose de simple: «ils ne demandent pas l’eucharistie». Il faut, dit Mgr Lebrun, «amplifier nos propositions catéchuménales et diminuer notre offre sacramentelle». Certes, certains évêques pensent différemment - il est vrai qu’«on n’a pas tiré les conclusions du Concile» sur tous les sujets. A la Pentecôte, il a présidé un «rassemblement diocésain sans eucharistie», une «célébration de parole», qui serait préférable à une célébration sacramentelle «devant des gens qui n’y sont pas prêts». Dit comme cela, comment aller contre?

En zone rurale, plus assez de prêtres pour la messe, et des fidèles qui ne seraient de toute manière pas forcément prêts. Il faudra un jour se demander comment on en est arrivé là.

[MàJ - 4 juin 2010, 22H20 - On lira avec intérêt quelques contributions à la discussion qui a suivi la reprise de ce texte sur le FC.]

mercredi 2 juin 2010

L'Eglise et l'Etat : un couple difficile

Hier, conférence de Guillaume de Thieulloy, à propos de son livre sur Le pape et le roi, resituant l'attentat d'Anagni, ces jours étranges de 1308 où le roi de France (Philippe le Bel bien sûr) a fait prisonnier l'un des grands papes médiévaux, Boniface VIII.

Avec maestria, le conférencier nous a emmené sur les chemins difficiles de la cohabitation historique entre l'Eglise et l'Etat. Dommage pour ceux qui rêvent d'un Moyen âge de carton pâte, tout d'une pièce et simplement chrétien. La réalité est tout autre : être chrétien n'a jamais été simple ! Certains ont pu en garder l'idée que ces relations sont décidément trop compliquées et qu'il faudra simplifier tout cela... Cela donnera la Pragmatique sanction de Bourges (1438), cela donnera le Concordat de Bologne (1516), dans lequel, de manière parfaitement officielle, le roi très chrétien a mission de nommer les évêques - qui deviennent par conséquent des fonctionnaires parmi beaucoup d'autres. On sait que l'Etat moderne ne supporte pas la concurrence et qu'il a forcément, comme dirait Max Weber, "le monopole de la violence légale". Elever une autorité spirituelle sur les marges de son Imperium, voilà qui n'est pas gagné ! Les polémiques qui enflent dans le monde entier contre Benoît XVI marquent bien le caractère tout anachronique, mais toujours libérateur, de l'autorité spirituelle dont jouit l'Homme en blanc.

Après avoir écouté cette conférence et participé au débat qui suivit, opposant plusieurs periti sur la question, à l'instigation discrète du conférencier, j'ai relu le dernier chapitre du Contrat social de Rousseau, qui porte sur la théocratie. Cette lecture me semble capitale. Il y a dans le Contrat social de Rousseau une nostalgie de la théocratie : "Les hommes n'eurent point d'abord d'autres rois que les dieux et d'autre gouvernement que le théocratique"... Pour le citoyen de Genève, la pire des solutions c'est que l'homme soit soumis à l'homme. Mais soumis aux dieux ? Aucun problème. Soumis à une religion civile qui fait l'unité de la Cité ? C'est la meilleure des solutions pour un pouvoir fort (toujours souhaitable selon Jean Jacques).

On comprend qu'emporté par son élan, il fasse l'apologie de l'islam politique, c'est-à-dire de l'islamisme : "Mahomet eut des vues très saines, il lia son système politique et tant que son gouvernement subsista chez les califes ses successeurs, il fut exactement un et bon en cela. Mais les Arabes devenus lettrés polis mous et lâches, furent subjugués par les barbares".

Curieux Jean Jacques... C'est bien lui le théoricien de notre République. A le lire dans le texte, on a l'impression d'une sorte de fasciste avant l'heure : "Tout pour l'Etat, rien en dehors de l'Etat". La formule est de Mussolini, via Gentile. Elle conviendrait bien au Contrat social. Et cette déploration de la décadence... On dirait du Spengler... Quant à l'admiration pour l'islam politique... Depuis René Guénon, une certaine droite la cultive.

Quand on se penche sur ce qu'il aime, Jean Jacques, on a envie d'aimer ce qu'il déteste : l'autorité spirituelle d'une Eglise qui préserve la liberté des personnes de toute statolatrie. "L'intérêt du prêtre y sera toujours plus fort que l'intérêt de l'Etat" regrette Jean Jacques. Mais qu'importe si le prêtre, pratiquant et défendant l'aventure spirituelle à laquelle chacun est appelé pour sa part, permet, dans son face à face avec l'omnipotence étatique, que se crée un espace, toujours provisoire, jamais bien marqué, où règne une liberté, à la faveur de laquelle chacun peut prétendre à la grâce et donc au salut.

La bagarre perpétuelle entre l'Eglise et l'Etat est sans doute le seul théâtre où se joue vraiment la possibilité de notre liberté intérieure.