samedi 23 avril 2011

Trente-neuvième billet de Carême : Samedi saint

Voici votre roi (suite)

En quoi consiste la Royauté du Christ ? Elle n'est pas politique. Elle a longtemps été sociale dans ce que l'on a appelé la chrétienté. Aujourd'hui, dans notre monde comme il ne va pas, on a l'impression que cette Royauté sociale, par les efforts conjugués de quelques lobbies , s'efface petit à petit. Peut-on et doit-on continuer de parler du Christ roi ?

C'est l'Evangile - et en particulier le récit johannique de la Passion - qui nous permet de répondre par l'affirmative. Le Christ est reconnu comme roi par Pilate par le titulum crucis disant en trois langues : Jésus de Nazareth, le Roi des Juifs [dont les initiales latines forment le fameux INRI]. Les Juifs sont furieux, ils voudraient le faire retirer, et ils n'obtiennent qu'un : "Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit". C'est la mesquine revanche de Pilate. il a bien compris qu'il s'était fait avoir par une accusation à double détente ("Il se fait roi"; "Il se fait Dieu" cf. post précédent) et, en quelque sorte il renvoie l'ascenseur. De la même façon, il les contrait à faire libérer un monstre comme Barabbas. Son combat n'est pas pour faire libérer le Christ, mais pour garder la main face aux Juifs. Quant au Christ, incontestablement il connaît son innocence, mais cela ne le gêne pas de l'envoyer à la mort. La vérité qu'il porte ? Ce philosophe, raffiné douteur et chef brutal, n'en a que faire : "Qu'est-ce que la vérité ?". Son crime est là. Il a tout réduit dans cet affaire à un problème politique et il utilise Jésus pour "marquer un maximum de points" face aux Juifs. C'est ainsi aussi que l'on peut comprendre la solennité avec laquelle il leur présente ce condamné à mort : "Voici votre roi". Terrible ironie ! Prophétique déposition ! Quant à la manière dont ostensiblement il se lave les mains, elle n'est évidement pas sincère. C'est encore une manière d eprovoquer les juifs et de leur renvopyer la responsabilité d'une décision qu'il prend lui et lui seul.

Dans ce débat terrible, une chose ressort, sans doute par la perfidie de Pilate, vieux singe de la politique et administrateur sans scrupule : cet homme que l'on va crucifier, il est roi. Il est bien le roi des juifs. Et c'est même pour cela qu'on le crucifie. Pilate prend au mot ceux qui lui ont amené ce prisonnier peu ordinaire et il leur rend la monnaie de leur pièce.

Et le Christ ? Que dit-il dans tout cela : "Es-tu le roi des Juifs ? Tu le dis. C'est pour cela que je suis né, que je suis venu dans le monde, pour rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui est de la vérité entend ma voix".

Deux choses à retenir dans cette formule : Jésus est roi par droit de naissance : "Je suis né et je suis venu dans le monde". Ce n'est pas un roi putschiste !

Deuxième élément : sa royauté est universellle comme la vérité qui en est le titre : "Tout homme qui est de la vérité entend ma voix".

Quelle est cette vérité ? C'est celle du destin de l'humanité. La vérité que porte le Christ est celle de notre condition humaine. Par lui nous savons où nos allons et pourquoi nous sommes faits. Ce n'est pas une vérité scientifique, "adéquation plus ou moins complète de l'esprit et de la chose". C'est une vérité transformante, celle qui regarde le salut, celle qui nous transforme, de condamnés en sauvés.

Ce salut il ne vient pas du monde. La vérité que le monde nous enseigne sur nous mêmes est celle de notre mortalité. La vérité que le Christ nous enseigne ? C'est la résurrection, c'est la vie. La puissance de cette résurrection ne vient pas de cette création, mais de Dieu lui-même.

Cette vie, c'est non seulement un jaillissement biologique nouveau qui nous est donné gratuitement, les fleuves d'eau vives qui coulent de la poitrine du croyant en Jean 7. Mais c'est aussi une transformation de notre existence terrestre, un aménagement nouveau de notre vie, soustraite par le Christ au déterminisme du désir (qui comme le rappelle inlassablement Freud mène à la mort) et transformé en un grand élan d'espérance.

Le mystère de Pâques se reproduit dans chacune de nos vie, qui se trouve revitalisée par le Christ roi de la Vie et victorieux de la mort. Le Christ ressuscité nous donne un élan qui - nous le savons - est plus fort que la mort. Sa royauté s'étend ainsi sur chacune de nos vies comme sur l'histoire humaine elle-même.

4 commentaires:

  1. Laetitia RIFFARDCOMOLI23 avril 2011 à 15:09

    merci Monsieur l'abbé de nous avoir guidés tout au long de ce Carême. Grâce à vous , malgré mon éloignement du Centre Saint Paul, j'étais proche de la chapelle du Bon Pasteur et j'ai lu chacun de vos billets avec avidité.
    Parce que j'aime l'étude des textes, des paroles et de la sémantique, j'ai noté que vous répétiez souvent les mots "coeur" "charité" et "foi". Un beau programme !
    Merci encore de votre aide.

    RépondreSupprimer
  2. Merci, Monsieur l'abbé pour tous ces billets de Carême, qui nous ont guidés sur les pas du Christ mais en ce qui concerne Ponce Pilate je préfère l'image qu'en donne Anne Bernet dans son livre "Mémoires de Ponce Pilate" dont je me permets de vous recommander vivement la lecture.
    Christ est ressuscité Alléluia.

    RépondreSupprimer
  3. Je m'associe bien sûr à tous ces "merci". Mais aussi au "mais relatif à "ce qui concerne Ponce pilate. Car je crains que la lecture contrerévolutionnnaire et antilibérale de l'histoire moderne et contemporaine faite par des chrétiens ait caricaturé la question de Ponce Pilate:
    "Qu'est-ce que la vérité?"
    Cette question ne trahit pas nécessairement un j'm'enfoutisme quant à la réponse. Elle exprime simplement que c'est une question trop vaste pour être traitée dans l'urgence de cette situation de crise, où Pilate et Jésus sont pressés par la foule. De plus, avant de hausser les épaules, sans que le texte le mentionne expressément, Pilate semble marquer un temps et Jésus ne pas répondre. Un peu comme s'Il renvoyait Pilate à sa conscience:
    "La vérité? C'est ce que j'ai dit. Veux-tu savoir ce que j'ai dit? Demande-le à tous ceux qui m'ont entendu, quand je parlais ouvertement. Lorsque ta conscience aura pesé si ce que j'ai dit est la vérité, son adhésion à mes paroles sera le commencement de ta foi; ou son refus sera le prix de sa liberté."
    Ce qui pose problème, ce n'est pas tant le haussement d'épaules de Pilate que le silence de Jésus. C'est ce silence qui doit être interogé. Vous écrivez qu'aujourd'hui, "sous l'influence de certains lobbys", on ne regarde plus la vérité en face. En l'occurrence, on charge Pilate de porter la responsabilité la plus lourde dans la condamnation de Jésus. Ce n'est littéralement pas ce qui est écrit dans le texte joanique. Prenez garde à votre tour de ne pas déformer la vérité en fonction de ce que notre époque est prête à en entendre! Il ne s'agit pas ici de savoir si l'on est philosémite ou non, mais il est incontestable que le simili "procès de Jésus" a été instruit en milieu juif, peuple d'élection ayant reçu une mission particulière dans la révélation du vrai dieu, du Messie et de l'humanité nouvelle. Autant il serait stupide d'accuser les Juifs de "déicide", car le Christ est mort pour toute l'humanité, comme l'a fort bien expliqué saint-Pierre dès son premier discours après la Pentecôte, autant il serait malhonnête d'exonérer les Juifs de l'époque évangélique de toute responsabilité dans la condamnation de Jésus.

    Quant à "la royauté sociale de notre Seigneur Jésus-christ", selon la manière de s'exprimer du courant traditionaliste, est-elle à jeter aux oubliettes sous prétexte que les structures de la société n'y sont plus favorables? Est-elle compatible avec l'antagonisme entre "le royaume de dieu" et "le monde"? Et, si elle l'était, comment doit-elle s'exercer? Selon le "minimum politique" requis par les partisans du rétablissement de "l'ordre naturel" ou selon les préconisations des théologiens de la libération, qui n'en ont pas moins été les premiers à dénoncer les effets d'une mondialisation sauvage? Si la "royauté sociale de notre Seigneur Jésus-christ" est "universelle", elle ne doit pas être limitée au rétablissement de la morale dans nos sociétés qui n'en finissent pas de vivre dans le souvenir de la chrétienté. Je préférerais le qualificatif de "sociétés en mémoire de chrétienté" à l'épithète de "postchrétiennes". Ne nous résignons pas à l'instauration d'une forme de chrétienté en ce monde, même si les modalités en restent à définir en termes nouveaux et recevables, moins par la modernité que par le monde contemporain.

    RépondreSupprimer
  4. Je viens de refermer le dernier opus de Joseph Ratzinger
    Sur Jésus de Nazareth – tome 2
    De quoi ça parle ? De choses sérieuses
    Du style : ne faites pas l’amour, ne faites pas la guerre
    Tout ne tient qu’à un fil
    Parce qu’en vérité, il nous le dit :
    Il faut réapprendre à être subtil
    A ne pas induire en vain, ni déduire pour rien
    J’essaye d’en extraire un ou deux liens
    Entre le bien et le bien.
    Ce ne sont pas les juifs qui ont crucifié le Christ, mais seulement quelques hommes
    Cette généralisation abusive a été lourde de conséquences
    Elle a engendré l’antijudaïsme, qui a engendré l’antisémitisme, qui a engendré le crétinisme et j’en passe…
    Non ce ne sont pas les allemands qui ont exterminé les juifs mais seulement quelques hommes qui avaient la nausée
    Cette concession a bouleversé toute l’histoire de l’humanité… jusqu’à surpasser en indignité le péché originel.
    Oublions la genèse pour tous ceux qui n’ont jamais eu la Foi et laïcisons le débat :
    En disant que les temps n’ont pas changé, que nous avons toujours droit aux mêmes fléaux :
    Le généralisme et le réductionnisme
    Dire que tout est comme-ci ou dire que tout n’est pas comme-ça
    Un peu de biogénétique pour les plus sceptiques
    De quel genre sommes-nous?
    Genre animal, vous n’y croyez pas, je le sais.
    De quelle espèce sommes-nous ?
    Espèce humaine… c’est rassurant ? C’est ce que vous croyez !
    Mais quels individus sommes-nous : Adolf, Benito ou Sosso… les pères du totalitarisme
    Non ce ne sont pas des monstres, mais des hommes qui vous donnent envie d’ignorer votre genre, de renoncer à votre espèce et de vous renier en tant qu’hommes, n’est-ce pas messieurs les recteurs ?
    Les arabes ne sont pas tous musulmans… les musulmans ne sont pas tous islamistes… les islamistes ne sont pas tous terroristes, mais j’ai beau la retourner dans tous les sens, je retombe toujours sur la même sentence : ceux qui ont fait sauter les tours jumelles sont bien des hommes…

    Comment puis-je conclure cette espèce d’homélie ?
    En disant « qu’il n’y a pas plus universel que le particulier »
    Ce n’est pas le pape, c’est mon père qui me l’a appris.

    RépondreSupprimer