vendredi 8 avril 2011

Vingt-sixième billet de Carême : Vendredi de la quatrième semaine

"Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais" Jean 11, 26

Cette phrase du Christ à Marthe, la soeur de Lazare et la soeur de Marie Madeleine contient comme le résumé tranquille du christianisme, l'essentiel de notre espérance. C'est une promesse solennelle. Gage de sa validité : dans quelques instants, Jésus va rendre la vie à Lazare, son ami. "Jam foetet !" Il sent déjà, observe Marthe. Cela fait quatre jours qu'il est mort. Qu'importe ! Il y a dans l'homme-Jésus un véritable pouvoir créateur.

"Ma vie, j'ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre" avait dit Jésus pour conclure l'allégorie du Bon Pasteur (Jean 10). Le retour à la vie de Lazare manifeste que ce pouvoir du Christ s'exerce sur toute vie. Ultramédiatisé, il explique l'entrée triomphale du Christ à Jérusalem et ce que l'on appelle le dimanche des Rameaux. Jésus à Jérusalem chassera encore une fois les marchands du Temple. il sera comme invulnérable. Il faudra le faire arrêter de nuit. Ce sera la farce sinistre du Jardin des Oliviers, l'heure de Judas.

Que dit Jésus ? il y a une équivalence absolue entre vivre et croire. La foi c'est la vie. La vie, pour peu que, la possédant, on la respecte, suppose cet élan de tout l'être qui s'appelle la foi. Essayons d'établir cette double équivalence.

La foi, c'est la vie. Je parle ici non seulement de la foi chrétienne mais de toutes les formes de foi, toutes ces fois que l'on voit énumérées au chapitre 11 de l'Epître aux Hébreux, foi d'Abel le Juste, foi de Noé, foi d'Abraham bien sûr etc. La foi est antérieure à Moïse. Sant Paul en a eu l'intuition géniale dans l'épître aux Galates, la foi est ce qui réalise la communication entre l'homme et Dieu. Et cette communication n'est pas seulement une expérience psychologique ou ce que l'on appelle un "vécu". Elle est plutôt comme un impératif actuel, quelque chose comme un : Vivre ! La foi - qu'elle soit explicitement chrétienne ou non, est l'élan de tout ce qui en soi résiste à la mort.

J'ai eu l'occasion d'éprouver cela comme physiquement, alors que je me trouvais dans un funérarium il y a quelques jours, devant un corps qui allait être brûlé sans que j'y puisse rien, au milieu des sanglots. Que reste-t-il d'une vie : l'amour que l'on a donné, oui : ce que l'on a donné de soi. D'où vient ce don de soi ? De la foi. Tu vaux ce que vaut ta foi, car c'est au nom de la foi que tu te donnes ; c'est au nom de la foi que tu dépasses le narcissisme primal et primaire. Cette grande loi est cachée, comme la foi elle-même est cachée au fond des coeurs.

Je me souviens du vieux cantique qui nous fait dire : "C'est par sa foi qu'un peuple est grand". C'est par sa foi qu'un homme s'accomplit, qu'une femme est grande. Foi dans l'avenir, sans laquelle on n'entreprend rien. Foi dans l'amour, sans laquelle on ne sait pas aimer, sans laquelle l'amour se réduit à un sentiment : "Et nous, dit saint Jean, nous avons cru dans la charité". Foi dans la vie, sans laquelle il n'y a ni respect des autres ni respect de soi-même. Toutes ces fois n'existent pas si elles ne sont pas d'abord et inconditionnellement foi en l'Ordre et en l'Ordonnateur : foi en Dieu et en sa Parole, qui dure plus que le Ciel et la terre. "Le cile et la terre asseront. Mes paroles ne passeront pas" : "Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais".

On comprend combien notre monde est bien fait : de même que la foi c'est la vie, la vie se respecte, s'apprécie, oui "trouve son prix" dans la foi. Je peux aimer vivre au sens où... j'apprécie bien, au sens où j'apprécie de vivre, en me disant : il n'y a pas de mal à se faire du bien. Mais ce n'est pas cela l'amour de la vie. Il ne s'agit pas seulement d'apprécier ou de profiter de sa vie... Il s'agit de donner un prix (pretium en latin) à ce que l'on vit, pour aimer inconditionnellement la vie. Pas d'amour de LA vie sans la foi en la vie...

C'est le Christ qui a le mieux formulé cet amour de la vie, qui est au coeur de toute foi et qui met la foi au coeur de toute vie : "Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais".

Mais il ne s'agit pas seulement d'une formule. Le retour à la vie de Lazare démontre la Toute puissance du Christ et l'autorise à dire : "Je suis la Résurrection et la vie", pour ajouter immédiatement : "Celui qui croit en moi, même si il est mort, vivra". Ce qu'il a démontré par le retour à la vie de son ami, il va bientôt le manifester par sa propre résurrection. Le Christ est le seul homme qui ait remporté, en un combat singulier magnifique, le combat ultime, le combat contre la mort. Il est lui notre espérance.

Sans lui notre espérance est vague, comme une attente de quelque chose. En lui, notre espérance a un visage, le sien, que nous retrouvons, chaque jour, au coeur de notre propre vie, lorsque nous décidons de croire en lui.

4 commentaires:

  1. Il est merveilleux de commencer ses journées avec tous ces billets de Carême, dont celui-ci qui rejoint tellement celui sur la vraie charité d'hier ou d'avant hier.J'aime le verbe " décider de croire en Lui". Car cette magnifique Foi demande aussi cette "mise" humaine (Cf 5 pains et deux poissons!).Merci M.l'Abbé et bonne journée!

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  2. De nos jours, il y a certains « croyants » en Dieu qui trouvent tellement extraordinaire la notion de résurrection qu’ils n’y croient pas. Ils y voient plutôt une sorte de fable rassurante et ne s’intéressent, en fait, à Jésus qu’à travers son message « Peace and Love ». Il y a en effet un degré supplémentaire dans la foi. Croire en un Dieu créateur (après tout, il y a une chance sur deux qu’il existe !) et croire en la résurrection est loin d’être pareil.
    On dit que certains croyants juifs de l’époque de Jésus, y compris des prêtres du temple, ne croyaient pas en la résurrection des âmes. Qu’en est-il exactement ? Et comment honorer un Dieu qui ne serait pas porteur de l’ultime espérance ?

    Clément d'Aubier (pseudo de rêverie)

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  3. Pour Clément d'Aubier

    A l'époque de Jésus les sadducéens (dont beaucoup étaient prêtres) ne croyaient pas à

    la résurrection des morts
    la vie après la mort
    l'existence des anges.

    Les pharisiens (juifs orthodoxes) y croyaient.

    Les sadducéens rejetaient l'interprétation de la Torah faite par les Pharisiens et plus exactement le Talmud qui s'ensuivra.

    Cf Mc 12, 18- 27.

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  4. Cher monsieur l'abbé, il semble que la notion de "vie" est centrale dans votre compréhension du christianisme - et de fait, Notre Seigneur n'a-t-il pas dit : "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie.". Par ailleurs, cette notion de vie se prend selon des sens analogiques (je pense que ce n'est pas vous qui me contredirez là-dessus) : la vie d'un ange, purement immatériel, n'est pas la même chose que la vie d'une plante, purement matérielle ; de même, la vie de la grâce n'est pas la même chose que la vie purement naturelle qui se manifeste par exemple quand on digère ou quand on ronfle. Comment articuleriez-vous votre philosophie, ou plutôt votre théologie, de la vie, avec ce caractère analogique de la notion de Vie ? Comment cet aspect pourrait-il éclairer les propos de Notre Seigneur "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie" ? Et par ailleurs, pourquoi ne pas relier la notion de Foi à celle de Vérité ou de chemin, plutôt qu'à celle de vie : après tout, l'identification de la foi à un aspect de la vie semble bien être la manière dont saint Pie X définissait l'immanence vitale, qui selon lui était l'un des fondements du modernisme ? Or, il me semble que vous vous définissez plutôt comme anti-moderne, même si ce n'est certainement pas dans le même sens que Jacques Maritain... Bonne nuit et bonne continuation, pour ces intéressantes méditations de carême..

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