vendredi 1 avril 2011

Vingtième billet de Carême : vendredi de la troisième semaine

"Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau. Mais qui boira de l'eau que je lui donnerais n'aura plus soif, jamais" Jean 4, 13-14

Une question nous vient aux lèvres immédiatement : "Quelle est cette eau ?". Ce n'est pas la question que pose la Samaritaine : "Seigneur, donne moi de cette eau !" Il y a dans notre réponse toute la raison du monde et dans la sienne une confiance a priori qui confine déjà à la foi. La Samaritaine est ne inconditionnelle ! Elle ne le sait pas encore elle-même, mais elle est gagnée par ce Rabbi, qui se penche vers elle.

Cela dit, cette question : "Quelle est cette eau ?" cette question rationnelle nous pouvons et nous devons nous la poser. Rien n'est plus exaspérant que les interprétations vagues, qui ne cherchent pas la vérité du texte, mais simplement une atmosphère. De quoi l'eau à laquelle le Christ fait allusion est-elle le signe ?

L'Evangéliste explique en un autre passage ce que Jésus entend par l'eau qu'il donnera. C'est en Jean 7, 37 : "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive ! Pour celui qui croit en moi, comme dit l'Ecriture, des fleuves d'eau vives couleront de mon sein" [Lecture prouvée par le Père Feuillet]. Et c'est saint Jean lui-même qui ajoute dans le texte à cet endroit : "Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui". Il me semble que c'est clair ! "Qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus soif, jamais". Boire ici c'est croire. Et croire c'est laisser parler en soi l'Esprit de Dieu.

Que signifie le don de l'Esprit saint et en quoi ce don peut-il étancher définitivement notre soif ? Pour cela, essayons d'abord de comprendre ce que c'est que la soif et ce que c'est que le désir, dont la soif est l'une des figures principales.

Une chose est sûre : celui qui boit de l'eau aura encore soif, et cela même si c'est l'eau de la Source de Jacob, à laquelle la Samaritaine se rend en Plein Midi, à la sixième heure. Les désirs élémentaires qui nous agitent cessent avec la satisfaction et ils nous reprennent sans cesse dans une morne répétition - cette répétition dont Freud lui-même n'a sans doute pas tiré toutes les conséquences. Nous sommes vite désaltérés, mais tout aussi vite altérés de nouveau.

La question fondamentale qui se pose est la suivante : est-ce là notre vraie désir ? Ou n'est-ce pas plutôt - cette soif d'eau - comme la parabole sensible d'une autre soif ? Y a-t-il en nous une autre soif ?

Pour qu'il y ait vraiment en nous une autre soif, il faut qu'il existe une autre eau. Quelle est-elle ? "L'eau que je donnerai", l'eau qui coule de mon sein, dit Jésus, l'eau qui coule du côté transpercé de Jésus pour le salut du monde, cette eau dont le Christ a parlé à Nicodème depuis le début (Jean 3) et qui ne fait qu'un avec l'Esprit en un sublime hendiadys. L'eau spirituelle dont nous renaissons, c'est l'eau du baptême, cette eau qui est le signe visible de notre transformation, je dirai même : de notre métamorphose.

Voilà comment, au sens le plus littéral, nous échappons au cercle infernal du désir et de la répétition, ou en tout cas comment nous pouvons relativiser la morne répétition des désirs, leur triste sarabande... pour nous en libérer.

Nous le pouvons en nous répétant non seulement qu'il existe une autre soif, mais qu'il y a une autre eau pour la désaltérer définitivement. Cette eau, c'est l'Esprit saint qui nous transforme en fils et en filles de Dieu. Et, en guise d'apéritif, d'avant goût (praegustatum dit saint Thomas), il y a un désir qui s'approfondit sans cesse en nous et qui échappe à ce schéma infernal de la satisfaction et de la répétition : c'est le désir de vérité. L'Esprit dont parle Jésus est appelé au chapitre 14 de saint Jean "l'Esprit de vérité".

C'est dans l'Esprit de vérité que la Samaritaine s'est écrié : "Donne moi à boire" sans même se demander "quelle est cette eau ?". C'est dans l'Esprit de vérité que le Christ explique à cette femme : "Les vrais adorateurs n'adoreront ni à Jérusalem ni sur cette Montagne, mais... justement : en esprit et en vérité". C'est dans l'Esprit de vérité que le Christ lui dévoile son comportement sexuel aberrant et... insatiable : "Tu as raison de dire que tu n'as pas de mari, car tu en as eu cinq et celui avec lequel tu vis n'est pas ton mari" et qu'elle est heureuse de partager avec ses voisins du village la joie de sa libération intérieure : "Venez voir un homme qui m'a dit tout ce qe j'ai fait".

Petite résolution de Carême au passage : accepter de nous voir nous mêmes tels que nous sommes : esclaves de nos désirs, consommateurs. Ne pas nous laisser piéger par notre image. Etre capable avant Pâques de nous confesser, d'avouer nos péchés. Nous ne pourrons pas cultiver ce désir nouveau, ce désir de vérité, ce désir d'une vérité qui n'est pas seulement "l'adéquation de l'esprit et de la chose" comme disent les scolastiques, mais qui est une vérité qui nous transforme ; non, nous ne pourrons pas accéder à ce désir nouveau dont le nom est sur le bord de nos lèvres, si la vérité nous ne la faisons pas d'abord en nous mêmes.

Voyez la Samaritaine : c'est parce que le Christ a fait exploser la vérité de sa vie de soifarde qu'elle a pu recevoir l'autre vérité, l'autre désir, l'eau spirituelle, l'autre joie.

Prions si vous voulez, alors que nous venons de dépasser la mi-carême pour tous les adultes qui vont recevoir le baptême dans la nuit de Pâques : qu'ils comprennent cette eau qui coulera bientôt sur leur front comme ce qui donnera à leur vie l'élan définitif dont ils avaient besoin - cet élan qui leur fera oublier la soif dans laquelle se résigne trop souvent la fragilité humaine.

Non, nous qui sommes baptisés ou nous qui voulons l'être, ne nous résignons pas à la soif !

Le Christ a dit à la Samaritaine que cette soif là n'était jamais une fatalité. Encore moins un destin. Le Christ a dit à la Samaritaine qu'il fallait creuser en elle une autre soif, une soif de vie et de vie éternelle ("l'eau jaillissant en vie éternelle"), pour éprouver la fiabilité de cette parole éternelle : "Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés ! (Matth. 5)

5 commentaires:

  1. Très intéressant, cette analyse de la Samaritaine comme figure de l'Homme dont les désirs sont inassouvis ou plutôt déréglés. Disons qu'elle a perdu sa boussole. Elle ne peut pas "s'accrocher à l'Absolu" comme vous disiez à propos de la pensée.
    Voilà pourquoi elle éparpille ses désirs, sexuels ou pas. Elle collectionne.
    C'est étonnant que chaque fois qu'on aborde le sexuel, vous ayiez un petit coup de griffe vers Freud !
    Freud est un allemand, nous l'avons assez mal traduit; Ce qu'il nomme libido n'est pas uniquement le sexuel comme un franchouillard l'entend avec ses représentations GAULOISES ou avec ses névroses obsessionnelles.
    C'est l'ensemble de l'énergie vitale -pulsions de vie, pulsions de mort- transformée grâce au travail psychique, une part dans la sublimation, une autre part vers le refoulement. Avec parfois quelques échappées de ce dernier, incongruités amusantes ou paraissant malencontreuses mais toujours "parlantes" justement.
    L'économie du psychisme, voilà ce que Freud a étudié, en médecin et clinicien qu'il était. Qu'il ait eu, à la fin, une vision philosophique de la vie que nous ne partageons pas toujours, c'est possible, mais comment ne le comprendrait-on pas? et qu'il ait commis quelques ouvrages plus philosophiques que cliniques ne doit pas obérer toutes ses avancées. Profondément juif -culture, identité, intelligence- et profondément cultivé -très intéressé par toutes les religions, par les mythes, collectionneur de pièces archéologiques riches de sens et toujours sur son bureau, il s'interrogeait comme nous tous sur notre origine et notre destinée. On a toujours intérêt à relire "Moïse et le Monothéisme".
    Quand nous aurons eu la grâce de la Révélation, cependant, rien ne fera que nous ne soyons pas AUSSI un animal psychique dont Freud étudiait les ressorts profonds. Il me semble qu'il connaissait bien cette répétition dont vous parlez et qu'il y a consacré sa vie car lorsqu'elle devient pathologique, elle est de l'ordre de l'enfermement dans la névrose ou de l'exhibition dans l'hystérie.
    Pour lui, la religion n'est pas l'ennemi au contraire, il la classe dans une des formes de la sublimation qui peut ainsi libèrer l'homme de son angoisse fondamentale,la séparation.
    ...ne sommes-nous pas des séparés de Dieu ? le mot "Saint" ne veut-il pas dire "séparé" en hébreu ? Renversement de situation avec le Christianisme !
    Bienheureuse Samaritaine à qui le Christ offre un nouvel et éternel "objet d'amour" auquel s'accrocher et qui ne la décevra jamais.
    Dommage que Freud ne l'ait pas connu ou pas voulu. On ne sait pas.

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  2. "altérés de nouveau"...deux sens: "altérés à nouveau", derechef.et altérés de " Nouveau" (au sens de cette "tradition du nouveau" que je ne sais plus quel critique diagnostiquait dans la cadence précipitée des renouvellements des vieillardes avant-gardes artistiques du siècle dernier...
    Mais un Nouveau qui Se Renouvelle sans cesse en nous renouvelant, dans l'intime pureté d'aube et de source toujours coulant et s'écoulant... voilà la Vie Eternelle, la Vérité, l'Esprit, la Voie...à condition de ne pas séparer l'Eau du Sang , (des larmes et de la sueur ! ), le Sang dont nous ne sommes transfusés que lorsque nous nous donnons ( voire quand nous verserons nous sang!)...
    C'est ce que priait Marie Antoinette dans la belle prière lue hier sur Radio Coutoisie...

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  3. Prière avant de mourir
    Mon Dieu, (mon âme, à laquelle je tenais tant ...A VERIFIER) est perdue.
    Prends désormais sa place dans ma vie.
    Prends ce temps que je lui consacrais.
    Prends ce coeur ardent que je lui donnais.
    Prends le désir infini de la revoir.
    Prends les larmes que je verse sur elle malgré sa gloire.
    Plus Tu m'as enlevé, plus je veux Te donner
    Plus j'espère recevoir en retour la grâce de Ta douce présence et de Ton amour

    Marie Antoinette, Reine de France, martyre.

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  4. Magnifique prière de Marie-antoinette dont je suis encore tout ému, merci, cher anonyme, de nous l'avoir transcrite!

    L'esprit est eau, l'esprit est feu, l'esprit vient du coeur du christ, point de vue pour le moins original, mais qui ouvre des perspectives d'amour sublimes. Et puis, ne l'oublions pas, l'esprit est anamnèse de dieu, Mémoire de dieu pour les orphelins que nous sommes. Plaçons-nous sous la motion de l'Esprit! Car l'esprit n'est pas silencieux: il nous est transfusé, goutte à goutte, coeur à coeur, par le verbe Qui n'a jamais voulu se taire, par le verbe Qui n'a jamais voulu nous opposer son silence, nous qui croyons ne jamais mieux prier que quand nous n'entendons rien. Peut-être, mais parce qu'en filigramme, il y a l'esprit Qui empêche que nous Le puissions oublier, et qui nous fait don en même temps des larmes et de la joie parfaite. "Joie, joie, pleurs de joie!"

    Quant à faire la vérité sur soi-même, à quoi bon se nier? On peut se reconnaître pécheur sans sombrer dans une repentance qui nous annihile, parce que nous avons pour Sauveur un Dieu, non seulement "plus grand que notre coeur", mais plus grand que notre péché, comme Marie a été dite par bernanos "plus jeune que le péché". Nous pouvons nous reconnaître pécheurs en toute simplicité de vérité parce que c'est notre état et que l'une des Grâces que nous a obtenue la Rédemption, c'est de pouvoir vivre sans avoir à nous cacher de dieu, de pouvoir vivre à l'ombre de ses ailes, de pouvoir nous reconnaître nus devant sa face sans que cette nudité n'entraîne en nous ni honte, ni pudeur. Avons-nous conscience que la rédemption, si nous en vivons, nous a fait retrouver le paradis perdu? Ce n'est pas seulement "en espérance", c'est aujourd'hui déjà que nous sommes avec Lui dans son royaume!

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  5. Julien,
    "Avons-nous conscience que la rédemption, si nous en vivons, nous a fait retrouver le paradis perdu?"
    Je sais, c'est un peu tard pour revenir là-dessus, mais je crois que la Rédemption ne nous fait pas retrouver le Paradis perdu ni revenir en arrière.
    Je crois que c'est mieux que ça, car nous sommes désormais revêtus de la splendeur-même de l'Homme SAUVÉ. Nous sommes désormais d'autres Christs. Revêtus de l'Homme Nouveau, nous accédons à un Royaume de Gloire, restaurés, certes, mais plus encore :adoptés filialement. Le Fils prodigue, c'est nous; La tendresse du Père, c'est pour nous, tous ses biens, toute la fête, toute la joie.
    Nous ne re-devenons pas ce vieil Adam. Adieu Paradis perdu.
    Mais un ciel nouveau, une terre nouvelle nous sont promis, la Jérusalem céleste s'ouvre à notre devenir. Elle est encore en gestation, elle sera toute neuve, toute jeune et cela éternellement.
    Mais il faudra avoir revêtu la livrée du Sauveur, avoir lavé nos vêtements blanc dans le Sang de l'Agneau.

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