jeudi 13 février 2014

La dignité humaine, Laurent Dandrieu et le Conseil d'Etat

Le Conseil d'Etat, réuni ce matin en plenum autour du cas Vincent Lambert, s'est contenté de demander un complément d'expertise médicale. Pas d'appel à la dignité humaine cette fois. Mais on sait que cette invocation est devenu l'argument-massue des partisans de ce permis de tuer que l'on a... rebaptisé "droit de mourir dans la dignité" justement. On nous parle de dignité de l'homme. De quelle dignité s'agit-il ? Et quelle est la conception chrétienne de la dignité humaine ?

Dans le post précédent (trop long je m'en excuse), j'ai développé l'idée que la dignité humaine au sens chrétien du terme ne faisait jamais abstraction du mal ni des conditions de conflit dans lesquelles surgissait, impérieuse, l'obligation de respect en quoi consiste cette dignité. Et j'ai cité la fin de la préface d'Albert Camus à L'homme révolté à ce sujet. J'ai opposé la conception chrétienne de la dignité humaine, qui ne fait jamais abstraction du mal et la conception moderne de la dignité de l'homme, qui s'inscrit dans l'optimisme de principe qui est celui des Lumières : l'homme est nécessairement cet être rayonnant d'autonomie et de liberté que présentent les philosophes du XVIIIème siècle. Il est CA, ou il n'est plus rien, même pas un homme. Sa dignité est inconditionnelle.

Laurent Dandrieu, qui est depuis longtemps l'un de mes meilleurs critiques (il faut beaucoup d'amitié pour tenir ce rôle), m'envoie sur ces entrefaites un texte dans lequel il me reprend, en se référant, lui, à Chantal Delsol. Voici le texte de Laurent :
Il me semble, cher monsieur l'abbé, que la problématique est rigoureusement inverse de ce que vous dites : la dignité selon les modernes n'est pas du tout inconditionnelle ; elle est au contraire indexée sur l'idéal purement humain et progressiste de perfection, ce qui entraîne que chaque déchéance ou faiblesse (pauvreté, maladie, vieillesse) est un scandale qui entache sa dignité… C'est parce que le trisomique est moins digne que l'enfant "normal" qu'on pourra l'éliminer avant sa naissance, et le grabataire moins digne que l'octogénaire sportif et multilifté qu'on pourra l'euthanasier la conscience tranquille. En revanche c'est notre credo à nous de considérer que la dignité de l'homme est inconditionnelle, parce qu'elle lui est conférée de toute éternité par sa condition d'enfant de Dieu, qu'aucune blessure ni aucun péché ne peut atteindre. Il me semble faux à cet égard de dire, comme vous le faites, que l'homme doit tendre vers la dignité : il doit simplement, malgré ses faiblesses ou son péché, tenter de se hisser, avec la grâce de Dieu, à la hauteur de cette dignité ontologique que Dieu lui a conféré en le créant. 
Par ailleurs, dans un débat anthropologique avec nos adversaires, je ne pense pas qu’il soit très opérant de placer le débat sur la question du péché, qui leur est étrangère. Le seul débat possible avec eux, me semble-t-il, est : est-ce que les misères de l'homme (pauvreté, maladie, handicap, vieillesse) atteignent l'homme dans sa dignité, à tel point qu'à un certain stade, le "reliquat" de dignité est tellement faible qu'il ne vaut plus la peine de vivre ; ou est-ce que la dignité de l'homme est telle qu'elle est inatteignable par ces misères, et que c'est la faiblesse et l'égoïsme de notre regard qui ne nous permettent plus de voir l'essentielle dignité qui persiste dans le pauvre, le malade, le mourant - et qui non seulement y persiste, mais y croît en le rendant plus cher au cœur de Dieu ?
Je suis heureux de publier ce texte d'abord à cause de son extrême clarté, ensuite parce qu'il nous découvre une piste qui nous permettra, je pense, de nous mettre d'accord sur ce sujet qui va devenir un sujet capital.

Pour ne pas trop allonger ce post, je renvoie mes commentaires au suivant... Très bientôt.

7 commentaires:

  1. JE crois au contraire Monsieur l’Abbé qu’il faut fonder la dignité humaine là où vous l’avez située. :
    Ou l’homme est juge et garant de sa propre dignité et veut en garder en la maitrise à son échelle et il aboutit à a révolte contre Dieu et finalement réalise le vœu du marquis de Sade que toute trace de moi soit effacé , c'est-à-dire après la triste jouissance généralisée , le meurtre de tous par tous,, on commençant r par les enfants les vieillards ( sans parler de l’avortement ) toujours au nom de la miséricorde, c’est dire notre difficulté ou lâcheté devant la souffrance ou alors la dignité humaine est fondée sur ce qui précède l’homme et le péché serait bien de le refuser.
    Camus, qui a lu Dostoïevski et le débat fiévreux entre Aliocha et Ivan, sait qu’on ne se débarrasse pas du mal sans y voir notre part secrète de complicité, - bien souligné par vous-en niant la dignité vie qui sourd en nous et sa jubilation, et que la dignité dans la souffrance a d’autres sources que nous même.
    Car même si Camus n’est pas croyant, il croit au moins à ce besoin d’y croire, Camus défend sa mère, et ce n’est pas par hasard.

    J e n e pense donc pas qu’il faille dire comme Laurent Dandrieu qu’il faille zapper le péché, pour incroyants que ce serait contre productif d’en parler et que cette notion soit étrangère. A nos contemporains. Bien au contraire !

    « Comme il existe un mystère nous réunissant tous dans la Rédemption il existe aussi un mystère nous réunissant dans la faute … aurait dit Louise de la Vallière à sa rivale (selon Gertrud von le Fort !) (…)
    Si Athénaïs , il y a bien une communion entre pécheurs et justes, car finalement il n’y a pas de justes .Si sans le savoir je prends part à votre faute, sans le savoir vous prenez part à mon amour, car tout nous réunit dans la communion.

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  2. Cher Monsieur l'abbé,

    On ne peut que souscrire à l'analyse de Laurent Dandrieu sur la différence entre "la dignité" conditionnelle des laïcs et la dignité chrétienne inconditionnelle de tout homme.

    Cependant, je crois qu'il importe de moduler ce débat des quelques inflexions suivantes:

    1. Un chrétien n'a pas le droit d'évacuer la question de la perfection puisqu'il a été créé en vue de tendre vers la perfection de sa ressemblance, ce que le Christ lui fait entendre sans circonlocutions:
    "soyez parfaits comme votre Père céleste Est Parfait", il n'y a pas de moyen terme.

    Le progressisme est un idéal de perfection matérielle, mécaniste et collective. Toutefois il n'est pas incompatible avec la pensée chrétienne, dans la mesure où celle-ci additionne les polarités; elle affirme la vérité en n'oubliant pas "la vérité contraire", une polarité n'exclut pas l'autre.

    La pensée chrétienne est dialectique et non pas dualiste. Le débat entre traditionalistes et progressistes satisfait notre conffort intellectuel, il accroît le nombre de nos ennemis qui deviennent aussi nos persécuteurs, mais il ne va guère au-delà.


    2. J'ai écrit maintes fois ici combien je me dissociais de la pensée évolutionniste comme étant esthétiquement étrangère à l'adéquation qui me paraissait nécessaire entre le beau et le vrai. L'ouvrage du Père PHilipe dautey, "Le chemin de l'home selon la bible", vient de m'éclairer à cet égard: il expose que la genèse ne nous parle pas d'un commencement temporel, mais du commencement actuel à chaque instant. D'ailleurs, le premier verset ne parle pas du commencement, mais du "principe", de la "tête". Et ce principe, en tête de toute création, qui préside à "l'évolution créatrice", est le même que celui que l'on retrouve en tête... du prologue de Saint-Jean: c'est le Logos, c'est le christ.

    Notre lecture créationniste de l'évolution est la seule qui puisse mettre en avant cette vision principielle et finaliste -puisque, pour le chrétien, le principe est aussi la fin et l'alpha l'oméga-. Les évolutionnistes classiques ont de l'évolution une vision temporelle. Or, une telle lecture ne peut que se désoler de l'usure et de la corrosion. L'usure, la corruption, la contingence, le salissement, le vieillissement et la mort sont tellement contraires à l'optimisme dont le mot "évolution" est chargé, qu'ils deviennent les impensés de l'évolution (comme l'orphelin et l'enfant abandonné sont les impensés de la famille, soit dit par parenthèse).

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  3. (suite)

    3. A partir de là, il se produit un autre paradoxe: de loin, les évolutionnistes n'ont pas de complexe à affirmer que, scientifiquement, la vie comence dans la matière, dans le carbone adamantin et incorruptible, c'est-à-dire hors de la conscience. Inversement, nous nous faisons une si haute idée de la conscience que nous estimons que la Création n'est accomplie qu'après l'irruption de l'homme, vis-à-vis du créateur pour penser un univers qui serait entièrement ordonné à cet être conscient. Seulement, l'affectivité du scientifique se réveille à certains spectacles. La psychologie du positiviste ne peut se défendre de confirmer l'identification qu'il ressent entre la conscience et la vie et de voir une injure à la dignité de la vie consciente dans la décrépitude souffrante d'un "pauvre home", réduit à ses fonctions végétatives.

    4. Inversement, le chrétien dit qu'il n'a pas peur de la mort; or il refuse de se demander si une vie qui a cessé d'être consciente n'a pas du même coup cessé d'être une vie alors que, par ailleurs, il ne dément pas l'identification qu'il pose entre la conscience et la vie. Et ce qui le décontenance, c'est d'être mis en demeure de fixer les limites du commencement et de la fin de la vie par des gens qui sont censés ne pas croire à l'âme et qui ne cessent de lui poser des questions métaphysiques. Ces questions méritent mieux qu'un débat sur la défensive où on diabolise l'adversaire, en démontrant au passage qu'on n'est contre la diabolisation de l'autre que lorsque l'autre, c'est nous-mêmes.

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  4. Decidemment nous ne sommes pas tous sur la même longueur d'ondes...

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  5. @Julien
    « …Tandis que Jésus leur parlait ainsi, voilà qu’un notable s’approcha. Il se prosternait devant lui en disant : « Ma fille est morte à l’instant ; mais viens lui imposer la main, et elle vivra. »
    …Jésus, arrivé à la maison du notable, vit les joueurs de flûte et la foule qui s’agitait bruyamment. Il dit alors :
    « Retirez-vous. La jeune fille n’est pas morte : elle dort. » Mais on se moquait de lui. (Matthieu - Chapitre 9-18)
    Depuis quand un chrétien considère-t-il que la conscience s’arrête avec la mort ? Depuis quand la mort est-elle la fin de la vie ? Depuis quand la Vie dans le Christ et avec Lui, aurait-elle une fin ? Je ne vous suis plus.

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  6. @Benoîte,

    Je ne vous demande pas de me suivre, car je n'ai pas la prétention de faire des disciples...

    Donc selon vous, il y aurait continuité de conscience entre la mort et la vie et la mort n'interromprait rien, elle ne serait même pas un moment, un goulot d'étranglement , par lequel s'effectuerait notre passage "de ce monde" à... notre Père, au bout de plus ou moins longtemps, après un temps plus ou moins long de latence.

    Mais si la mort n'est même pas un moment, à quoi bon se battre pour en déterminer... le moment? Un peu plus tôt, un peu plus tard, et le plus tôt sera le mieux, n'est-ce pas? alors pourquoi se battre contre l'euthanasie?

    Je suis un homme de questions plus que de réponses. Et la question qui me semble engagée par le gouvernement, et même par la franc-maçonnerie dans ce débat est la suivante: y a-t-il identification de la vie à la conscience?

    Cette identification est la conception instinctive de notre conscience chrétienne, puisque nous nous croyons une créature en vis-à-vis de dieu.

    S'il n'y a pas identification de la conscience et de la vie, alors qu'est-ce que la vie?
    Cum grano salis, comment se fait-il que la question de cette identification nous soit posée par des promoteurs de l'inconscient, pour qui la matière est censée être vivante sans faire appel à la métempsicose?

    Enfin, pour battre en brèche votre conception continuiste de la vie de la conscience qui élude la mort plutôt qu'elle ne la pense, preuve supplémentaire que, d'instinct, vous ne pouvez échapper à identifier la conscience et la vie, Saint-Paul et l'exemple même de l'Evangile que vous citez introduisent un élément de discontinuité: c'est la différence entre la conscience diurne et la semi conscience somnolente ou onirique. D'après l'épître aux Thessaloniciens et votre exemple évangélique pris au pied de la lettre, la mort serait un sommeil, donc un état amenuisé de conscience.

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  7. @ Julien
    La mort n’est pas un état de conscience amenuisé. Elle est un « autre » état de conscience ! Dans l’Evangile que je cite ainsi que dans les autres cas de Résurrection, ce qui frappe c’est l’ignorance des hommes, leur aveuglement spirituel. Ils ne voient rien, ne comprennent rien. Comment voulez-vous que le Christ leur en dise plus ? On ne donne pas de caviar à un nourrisson, sous peine de le tuer !
    Pour en revenir au thème de la dignité dans notre société mortifère, je n’y vois pas l’ombre d’une croyance en une « dignité » quelconque. Il n’y a que des avantages économiques à organiser.
    Dignité, égalité, parité… tous ces mots en T qui n’ont aucun sens et qui deviennent les instruments d’un totalitarisme. Comment peut-on même imaginer leur bonne foi ? C’est de la manipulation pure et simple. Discuter de cela revient à tomber dans leur piège. Je m’aperçois que l’humanisme du XXème siècle fait encore des dégâts. Il subsiste dans l’imaginaire alors qu’en réalité, il a complètement disparu.

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