lundi 24 février 2014

La sainte et la putain

C'est un film tourné en 2013. Vous avez sans doute vu les grandes affiches 4X3 qui ont fleuri un peu partout au moment de sa sortie en France (le 12 février dernier). La production s'est payé la dernière de Libé (en pleine page). Bref grosse pub, pour un film en noir et blanc au titre simplement énigmatique, en trois lettres : Ida. J'avoue que ce départ en fanfare m'avait un peu interloqué. Je me suis dit : encore un navet ; le réalisateur, je l'avoue m'était totalement... inconnu. Les inconnus en ce moment au cinéma... me disais-je, frères ou pas frères, ce n'est pas recommandable... Bref, j'y suis allé.

C'est un éblouissement.

Au départ, ce sont les images qui emportent l'adhésion. Autant j'avais trouvé artificiel le noir et blanc dans The artist, autant je suis saisi par l'usage que fait Pawel Pawlikowski de ces photos intemporelles, où l'on ne voit que la lumière et l'ombre, où le monde est réinterprété en base deux : ombre et lumière, comme dans le Prologue de saint Jean. Cette simplification esthétisante prend, au fur et à mesure que le film avance une dimension spirituelle. Comme dans Bresson. Ce film est comme matériellement spirituel, grâce au noir et blanc, grâce au cadrage toujours minimaliste de l'auteur, qui manifestement ne veut dire que l'essentiel : les corps ballottés par leur histoire, perdus dans un monde immense (les paysages interminable de la plaine ou de la forêt polonaise), les corps qui parlent mais qui ne disent rien.

Il y a si peu de paroles dans ce film et si peu de psychologie, juste un regard extérieur sur des personnages en contraste qui se trouvent l'une par l'autre.

C'est l'histoire de deux femmes Wanda et Ida, la tante et la nièce.
L'une (Agata Kulesza) a fait une grande carrière judiciaire aux ordres du Parti communiste ; au moment où le film commence, c'est une femme finie, qui se méprise profondément, qui méprise son passé et qui méprise les autres parce qu'elle méprise sa vie ("J'en ai envoyé à la potence, moi, des individus"). Pour lors, elle enchaîne les hommes et les verres de gnôle... pour tromper son désespoir.

L'autre (la magnifique Agata Trzebuchowska) est une jeune nonne, à qui l'on a enjoint d'aller voir sa tante (tout ce qui reste de sa famille) avant de faire ses voeux dans la communauté. Sa tante lui apprend qu'elle est juive (elle a été élevée sous un faux nom dans une institution religieuse pendant la guerre) et toutes deux décident de retrouver la tombe des parents d'Ida, disparus.

Voyage au bout de la grisaille polonaise dans une vieille tatra, qui rappelle le passé de Wanda, son rang social d'autrefois, comme pour mieux accuser sa déchéance. Face à cette femme, manifestement athée par habitude mais qui tente un moment d'évoquer le souvenir de Marie-Madeleine pour chercher un contact avec sa nièce, la jeune nonne reste de marbre. Elle ne sait que se mettre à genoux devant une croix à un carrefour, lire sa bible et faire de très hiératiques signes de croix. Elle ne dit rien... Mais (c'est toute la force d'Agata Trzebuchowska) sans jamais donner l'impression d'être passive, au contraire : en faisant sentir au spectateur l'intensité du feu intérieur qui la brûle. On lui a appris le bien, elle s'y tient et s'y tiendra.

Je ne dirai rien de l'enquête quasi policière, menée par l'ex-juge du Parti. Je ne vous raconte rien de l'issue surprenante de cette quête haletante et silencieuse, où chacune finira par se trouver. Disons seulement que la putain sauve la sainte de manière paradoxale et sans doute involontaire, en lui donnant le choix et en lui permettant de découvrir son identité spirituelle. Ouvrant son coeur, la sainte nitouche devient une sainte. C'est l'évangile tout cru.

C'est aussi un très beau film sur la Pologne, la question juive pendant la Guerre, la prégnance du catholicisme. Tout cela est traité de façon apaisé, sans que l'on ait l'impression que pour donner raison à l'un il fallait donner tort à l'autre.

4 commentaires:

  1. Oui, cest un beau film, aux accents bresonniens, pour traquer l'invisible derrière les images épurée, mais à fleur de peau, qui nous sauve de notre déchéance. L'apprentie nonne est impressionnante, sa; Du contraste nait... c'est jstement tout le propos du film à voir par le spectateur. Encore une fois le cinéma extérieur à notre Europe occidentale a un autre souffle....

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  2. Merci Monsieur l'abbé. Vous êtes un bon critique de films. Je l'ai vu tout à l'heure. Ce n'est pas tout à fait un film de mardi gras, pourtant. Mais il élève l'âme à l'entrée du carême.

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  3. J'ai vu 'Ida" le mercredi des cendres, et je pense avoir avec ce film satisfait à toutes les prescriptions concernant le jeûne, tant la mise en scène et la l'image sont dépouillés, austères.
    Un vrai beau film, d'une grande profondeur, pas loin en effet de l'univers de Bresson.
    Ce qui me frappe, c'est la double obéissance d'Ida, à ses origines juives, refusant de suivre sa tante dans la salle où l'on joue du jazz, elle finit par s'y rendre, seule, et par son renoncement d'un jour elle obéit aussi à sa tante Wanda, qui lui a dit, au début du film, de vivre un amour profane afin de savoir ce qu'elle sacrifie... Cette obéissance exigera aussi que les restes de la famille d'ida soit retrouvés, et inhumés dans le cimetière juif de Lublin.
    Et cette obéissance juive d'Ida, sera confirmée, comme vous dîtes "de manière paradoxale et sans doute involontaire", par l'obéissance chrétienne d'Ida à sa vocation religieuse, puisqu'à la fin elle reprend son habit et retourne au couvent, le spectateur sait cette fois Ida est enfin prête, une fois surmontée la crise qu'a provoqué la révélation de ses origines. J'avoue qu'au moment où l'on voit ainsi Ida emprunter les habits et les vices de sa tante, j'ai craint que le scénario ne bascule dans une chute trop attendue et regrettable pour des raisons qui sont moins liées à la "morale" qu'à la très grande rigueur et exigence du film. Mais la fin sauve tout, avec une grande force et une grande retenue.

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  4. Enfin pu voir ce film. J’ajouterai cependant, après votre analyse, MAG2T, encore autre chose. Dans ce film, ce qui est intéressant est ce à quoi il renvoie sans jamais le formuler. Pour entrer dans la radicalité de l’Evangile, il faut en effet 2 choses : D’une part, enterrer sa judaïcité et d’autre part (ce qui va avec), renoncer à ce qui nous illusionne sur cette terre, famille, procréation, attirance physique. Tout ce qu’on pourrait encore avoir le droit de faire mais « en conscience » c’est à dire en n’idéalisant rien et en aimant Dieu par dessus tout cela. Grand film. Un silence qui en dit long et qui est à l’opposé de cette nouvelle religion de la Shoa qu’on veut nous inculquer. Film qui aurait du être français mais qui illustre bien la Foi catholique de la Pologne, notre Sœur dans la Catholicité.

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