lundi 8 septembre 2014

Comment lire en filigrane un entretien avec le responsable d’un institut traditionnel… [par Hector]

[par Hector] Je ne sais pas s’il vous arrive de lire Présent et d’y glaner les informations. Il se trouve qu’un entretien avec un ancien supérieur de la Fraternité de la Transfiguration, le Père Jean-Noël (qui succéda à l’abbé Lecareux, fondateur de cet institut), a attiré mon attention (Présent, 6 septembre 2014). Le supérieur répondait à quelques questions posées par Anne Le Pape. Première question : «Quels sont les liens entre votre Fraternité et Ecône?» Le supérieur affirme que la Fraternité fait partie des «Communautés amies de la Fraternité Saint Pie X, qui profitent de l’apostolat des évêques, notamment pour se faire ordonner leurs prêtres. Il serait difficile pour nous de faire ordonner nos prêtres par des évêques diocésains.» La raison ? Elle est donnée dans la phrase suivante : « Il y aurait des conditions inacceptables comme l’obligation d’une formation religieuse au sein d’une formation religieuse au sein d’une «communauté «reconnue», ou celle de célébrer la nouvelle messe, de reconnaître tout le Concile, de s’insérer dans la pastorale du diocèse, tout en reconnaissant ''l’œcuménisme''…» En passant au peigne fin ces propos, il y a quand même des choses subtiles. La première est que le Père Jean-Noël affirme qu’«il serait difficile» de recourir aux ordinaires diocésains pour les raisons exposées en sus. «Difficile», donc, mais pas impossible. La nuance est là, car cela signifierait-il que si les conditions étaient modifiées, il y aurait un assouplissement, rendant possible le recourir à l’ordinaire diocésain ? Bref, «il serait difficile» en l’état actuel des choses, si l’on voulait compléter. Le Père Jean-Noël donne donc ces « conditions inacceptables », mais a contrario, qu’est-ce qui empêche de les rendre «acceptables». Comment le deviendraient-elles ? Examinons-les une par une. Première condition «inacceptable» : «l’obligation d’une formation religieuse au sein d’une communauté ''reconnue''». Or, si la formation se fait en « interne », comme on dit, ou si elles est prodiguée par des instituts traditionnels, on pourrait estimer qu’elle deviendrait alors « acceptable ». Deuxième condition «inacceptable» : la célébration de la nouvelle messe. C’est effectivement une condition précise, mais, que je sache, les instituts Ecclesia Dei célèbrent exclusivement la forme extraordinaire du rite romain. À ce jour, ni l’IBP, ni la Fraternité Saint-Pierre ne sont biformalistes et il ne semble pas que la célébration selon les deux formes soit la condition indispensable pour régulariser sa situation canonique… Depuis 2002, il existe un certain nombre de communautés ayant régularisé leur situation sans avoir été dans l’obligation de célébrer selon le nouveau missel. Troisième condition « inacceptable » : «reconnaître tout le concile». Cette condition peut aussi être tournée, car si on lit le Père Jean-Noël, on pourrait parfaitement se limiter à une reconnaissance «partielle». Avec une clause de style du type : «à la lumière de la Tradition», et en tenant compte du fait qu’il existe une hiérarchie dans les enseignements conciliaires. Il ne semble pas que le pape François ait posé un tel préalable de reconnaissance totale, car on se doute que le concile Vatican II comporte des textes d’inégale valeur et des affirmations de différentes nature, les unes de caractère sociologique et descriptif, les autres de caractère doctrinal (sacramentalité de l’épiscopat). Très honnêtement, Rome a-t-elle demandé à des communautés «tradies» de reconnaître qu’aujourd’hui « les hommes communiquent mieux» ou que l’on passe d’une situation dynamique à une situation dynamique ? Quatrième condition «inacceptable»: «s’insérer dans la pastorale du diocèse». La pastorale, c’est justement un concept flou qui permet de dire tout et son contraire. Et si cette pastorale se basait justement sur l’acceptation des forces «traditionnelles» dans le diocèse, ne deviendrait-elle pas acceptable ? Là aussi, nous ne sommes pas dans une condition douloureuse, dès lors qu’elle est bien tournée. Cinquième condition «inacceptable» : «tout en reconnaissant "l’œcuménisme"». S’il y a une pratique qui est justement insusceptible d’interprétation univoque dans l’Eglise catholique de ces cinquante dernières années, c’est bien l’œcuménisme. Quel œcuménisme ? Celui de Dominus Jesus, d’Anglicanorum Coetibus ou celui de la communauté de Bose en passant par une variante plus spirituelle et plus priante de Taizé ? Mieux la déclaration conciliaire Unitatis Redintegratio n’a jamais défini de pratique-type d’œcuménisme, ni en quoi devait consister l’unité retrouvée… Au pire, c’est un texte avec une doctrine en filigrane, qui laisse une (large) marge de manœuvre à de futurs interprètes. Au mieux, c’est une simple contribution à un problème complexe, dont la clé se trouve à Rome. Et puis il y aussi un «truc» qui devrait rassurer les esprits les plus traditionnels : le protestantisme, en Europe, s’est bien effondré depuis un siècle. Ça, on ne le dit pas trop, mais le protestantisme est non seulement minoritaire, mais tend à devenir une coquille vide. Emmanuel Todd disait que sa phase terminale remontait aux années 1930. Le cardinal Newman constatait qu’en, un sens, le protestantisme avait déjà disparu. Une hérésie, au maximum, cela dure trois siècles, donc le protestantisme est bien mort au 19ème siècle et ce que Vatican II a fait, c’est de tendre la main à un cadavre déliquescent, pas à un adversaire plein de ressources, prêt à vous subvertir… Personnellement, je ne me suis jamais fait agresser par des animaux empaillés… Quelques exemples d’écroulement du protestantisme ? Au-delà des chiffres ou de la transformation des rigidités protestantes en rigidités libertaires, on allume des cierges dans certaines églises protestantes, comme à Edinburgh, à l’église Saint-Gilles… Vous imaginez cela il y a un siècle ? Certes, il y a les évangéliques, mais, eux, ils sont incontrôlables et se moquent un peu de l’œcuménisme. Enfin, il y a aussi l’Orthodoxie. Très honnêtement, sa difficulté à s’organiser, ses divisions canoniques et sa survie difficile (en Orient comme ailleurs) la transforment en modèle peu attrayant… Ah oui, vous me diriez : il y a la vitalité de l’Eglise russe. C’est probable, mais la trop forte proximité avec l’Etat poutinien, son instrumentalisation évidente constituent aussi des talons d’Achille qui, un jour ou l’autre, se retourneront contre elle. Et puis il y a aussi un argument : la Russie se sécularise aussi et ce ne sont pas les photos officielles où des évêques orthodoxes côtoient les dignitaires du Kremlin qui changeront les choses… Bref, l’œcuménisme est peut-être davantage une coquille vide qu’une machine dénaturante…

Enfin, je souhaiterais conclure avec une autre affirmation du Père Jean-Noël qui rompt avec toute idée d’exclusivisme dont les communautés proches de la FSSPX pourraient être accusées :
«l’Eglise ne se limite pas à la Tradition. Nous ne devons pas penser que nous sommes les seuls à œuvrer pour le règne de Dieu. Nous constituons une force à vive au sein de l’Eglise pour l’aider à se relever et nous gardons, malgré cette crise du haut clergé, un attachement indéfectible au siège romain.»
Voilà qui est dit !

3 commentaires:

  1. « L´église ne se limite pas à la Traditon. Nous ne devons pas penser que nous sommes les seuls à oeuvrer pour le règne de Dieu. »
    Enfin, une phrase équilibrée. En fait, je pense que Dieu nous jugera pour le bien que nous avons fait ou omis de faire.

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  2. il me semble pourtant que la Fraternité St Pierre a l'obligation non seulement de reconnaître la nouvelle messe mais encore d'en célébrer au moins une une fois, à Pâques. il doit en être de même avec les autres communautés Ecclesia Dei.

    après on peut toujours jouer sur les mots, et ne pas vouloir se laisser prendre au piège des formulations. pourquoi pas. pas trop d'angélisme quand même. le traitement par Rome des Fransciscain(e)s de l'Immaculée est de sinistre présage. et l'oecuménisme n'est pas seulement une main tendue au protestantisme, mais la voie ouverte pour une novelle religion (Cf Assise), entre autres ...

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    1. Il vous semble... donc (à partir de là) vous supposez que...

      Mais moi, il me semble différemment! Il me semble que la Fraternité St Pierre n'a (pas plus que les autres communautés Ecclesia Dei) l’obligation de célébrer dans la forme ordinaire, pas même une fois l'an. Ce qui expliquerait que, de fait, les prêtres de la FSSP ne célèbrent pas selon la forme ordinaire.

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