samedi 22 novembre 2014

Beaucoup de questions sur le pape... [par l'abbé de Tanoüarn]

Je dois dire que je ne peux pas discuter avec tel ou tel sans que finisse par sortir la question : mais ce pape alors ? Qu'allait-il faire dans ce synode ? Ou en est-il ? Que veut-il ? Ou plus profondément encore : qui est-il ?Tout à l'heure encore, on parlait avec des amis de choses et d'autres, du Brésil, de l'Argentine et... du pape. Avec une sorte de tristesse. Les cathos, tradis ou pas tradis, en ont déjà pris tellement sur la calebasse qu'ils sont tout de suite très pessimistes. Pensez : un pape qui s'intéresse particulièrement aux homosexuels dans leur homosexualité ("don pour l'Eglise") et surtout, comme disait la première mouture du Rapport final, rédigée par huit amis du pape, qui s'intéresse particulièrement aux enfants nés de couples de même sexe... Un pape qui assiste... Qui fait communier les divorcés remariés, du moment qu'ils ont exprimé une repentance etc. Un pape qui fait dans le Care plutôt que dans le clair... Il est vrai que d'ores et déjà son image est brouillée et ce n'est pas forcément sa popularité médiatique qui suffira à l'éclaircir.

Je voudrais dire deux choses à ce sujet.

La première c'est que les pressions sur le Vatican pour qu'il change sa morale et qu'il adopte enfin celle de l'ONU sont constantes depuis quelques années. Il me semble qu'elles expliquent déjà, au moins en partie, la démission précipitée du pape Benoît. Souvenez-vous : la Banque du Vatican, sous le prétexte d'un manque de transparence, s'était vue couper les vivres. Il n'y avait plus un euros dans les distributeurs et l'on visitait le Musée du Vatican à condition de payer sa place en liquide. Le système des cartes bleues avait été mis hors service. Le jour de la démission du pape Benoît tout s'est remis à fonctionner. Oh ! C'est sans doute un pur hasard. Mais on ne peut pas m'empêcher de penser que le hasard parfois fait... trop bien les choses. François est donc le pape qui se présente comme tentant de faire évoluer la morale de l'Eglise, pour faire de l'Eglise "un hôpital de campagne" comme il a dit le jour de son élection. Une sorte de vaste ONG où ni le dogme ni la loi ne sont une gêne... On ne les supprime pas, mais cela vient après la pastorale.

Cela me rappelle une très vieille discussion que nous avions au Séminaire pour savoir s'il y avait deux ou trois pouvoirs du pape. Tenant l'adage odiosa sunt restringenda (les choses pénibles, parmi lesquelles l'autorité, doivent être restreintes autant que faire se peut) je tenais personnellement pour deux, avec les théologiens les plus anciens : il y a un pouvoir magistériel du pape, seul ou à la tête d'un Concile, ou encore comme docteur du magistère ordinaire, c'est le Munus docendi, le pouvoir d'enseigner ; et il y a un pouvoir ministériel, le Munus sanctificandi (le pouvoir de sanctifier). Selon moi, le troisième pouvoir, le pouvoir de régir, était issu des deux autres. Issu en particulier du Pouvoir d'enseigner. En y réfléchissant, je n'ai pas changé d'avis : c'est au nom de son enseignement de la foi qui sauve que le pape a le pouvoir de régir le troupeau. De même que le Christ est roi par sa doctrine (Augustin dans le Commentaire du Psaume 59), de même le pape est chef en vertu de son Pouvoir d'enseigner la vérité.

Il faut bien reconnaître que cette vieille doctrine des deux ou trois pouvoirs du pape, tout le monde semble l'avoir oubliée. Tout le monde semble avoir oublié que le pape est essentiellement un docteur. Son rôle est de dire la foi et c'est en tant qu'il dit la foi qu'il a aussi une autorité pastorale et qu'il est Princeps pastorum selon l'expression de l'Epître de Pierre. Il est (seul ou avec les évêques qui lui sont unis) l'Eglise enseignante et nous sommes tous, prêtres et fidèles, l'Eglise enseignée. En revanche, la pastorale concerne les pasteurs de la base, ceux qui ont... j'allais dire les mains dedans.

Le rôle du pape est-il immédiatement pastoral ? Je n'en suis pas sûr. La pastorale disait ce grand pape que fut Grégoire le Grand est "ars artium", l'art des arts. Elle est donc, comme tout art, immédiatement pratique, avec la part de pragmatisme que cela suppose. Comment le grand chef pourrait-il ainsi descendre dans le détail ? Il ne serait pas efficace car son pouvoir ne serait pas proportionné. Dans une situation exceptionnelle, une situation de crise, Jean-Paul II a été une sorte de curé du monde. Mais cela ne peut pas durer.

L'attitude du pape François montre bien qu'il a compris que le rôle du pape n'était pas de s'engager directement dans des choix pastoraux particulier qu'il devrait imposer à toute l'Eglise. Il a voulu laisser le Synode libre de donner un conseil plus proche du terrain que n'aurait pu être le sien. Et... sur les questions sensibles des divorcés remariés accédant à la communion et des homosexuels à accueillir comme tels, il faut bien reconnaître qu'un accord massif n'a pas eu lieu. L'échec est là. On ne gouverne pas l'Eglise comme un Etat, à la majorité simple. Le consensus est nécessaire, il l'a toujours été, même dans l'Eglise de Pie IX, qui est pourtant le pape de l'Infaillibilité pontificale.

Exemple plus récent : les texte de Vatican II ont été votés à une quasi unanimité, ce qui a fait la légitimité de ce Concile, par ailleurs controversé sur la question de son contenu véritable. Ainsi, la constitution doctrinale Lumen gentium sur l'Eglise, l'un des textes les plus importants, à été votée par tous les 2000 participants. Seuls cinq Pères conciliaires l'ont refusée, et pour des raisons qui pouvaient être de droite ou de gauche, sanctionnant finalement un texte pas assez conservateur ou pas assez avancé. L'opposition rencontrée au Synode est énorme et décidée. Je ne vois pas que l'Organisateur puisse passer en force, sans menacer sa propre légitimité de pape.

Mais je crois que, jusqu'à l'année prochaine, il est nécessaire de parler du Synode, en attendant le suivant. Pour montrer que sur un tel sujet l'unanimité ne peut pas se faire et que seul un pape docteur de la foi est unanimement reçu par les membres de la Catholique. C'est ce que nous ferons d'ailleurs dans Monde et Vie, où la semaine prochaine, s'exprimeront en toute liberté sur le sujet Christophe Geffroy et Jeanne Smits. Il s'agit de montrer que la liberté des enfants de Dieu n'est pas seulement un mot. Qu'elle provient de notre foi et qu'elle l'exprime.

4 commentaires:

  1. Je crois que cette question des homosexuels va encore demander beaucoup de temps et que l ´église va réfléchir à ce sujet.
    Je n´ai pas compris quand vous écrivez : « ...qui s´intéresse aux enfants nés de couples de même sexe... » que je sache, cela est impossible : un enfant né de deux hommes, ou de deux femmes. Vous voulez dire, peut- être, « des enfants adoptés », certainement... rs
    Je crois aussi que la question des remariés devra être étudiée tout d´abord, et allons voir la conclusion que va venir de cela... Je crois qu` un grand nombre de catholiques va se positionner à cet égard – pour ou contre – mais seulement le temps dira vraiment ce qui va se passer... les opinions seront différents, je suis d´accord que le consensus est nécessaire, car le pape ne governe pas tout seul. Et prions, pour que le bon sens prévaudra et l Ésprit Saint éclaire ces décisions.

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    1. " ... enfants nés de couples de même sexe... » : par l'intermédiaire des mères porteuses par exemple, qui une fois le fait accompli disparaisse du paysage. il reste le couple, et l'enfant né de / dans / pour ce couple.

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  2. Je suis comme vous, le discours au Parlement européen (je n'ai pas assez bien analysé celui prononcé au Conseil de l'Europe) me laisse l'impression d'une grande banalité. Au point que j'ai du mal à comprendre qu'on fasse se déplacer le pape là où une bone téléconférence aurait largement fait l'affaire. François veut tellement une "Eglise pour les pauvres" que les Alsaciens sont confinés dans la cathédrale à le regarder sur écran géant, il ne prend même pas la peine de les saluer, ni d'aller se recueillir dans ce joyau du patrimoine chrétien et dédié à Notre-Dame. C'est encore une fois Jean-Luc Mélanchon et certains "liseurs" du forum catholique qui ont vu juste: avec l'existence de skype, ce voyage pontifical ne se justifiait que si Pierre ancrait sa barque dans la cathédrale.

    Le discours de François ne supporte pas la comparaison avec celui de saint Jean-Paul II devant les mêmes instances ou de Benoît XVI aux bernardins. Une Europe qui respire sur ses deux poumons a plus de perspective qu'une Europe grand-mère. Il serait cruel d'expliquer cela parce que le pape vit avec un poumon...

    Mais on ne voit pas la cohérence de la proposition pontificale: en quoi le primat personnaliste de François, qui le place dans la continuité de ses prédécesseurs, pourrait-il contrer concrètement l'individualisme consumériste? Comment une Europe non protégée pourrait-elle faire rayonner sur le marché mondial un art qui a perdu toute identité distinctive? Comment pourrait-ele réconcilier avec elle un citoyen solitaire, auquel le pape propose d'adhérer paisiblement à la flexisécurité qui le précarise?Quelle est la politique migratoire de l'Europe passoire préconisée par François? est-il raisonnable de proposer l'extension aux Balkans de notre UE mal élargie? Ce discours n'aurait-il pas gagné à ce que la rédaction en soit approfondie?

    En quoi le personnalisme du pape entraîne-t-il, dans la généalogie des idées, la substitution anthropologique du modèle familial au modèle individualiste? Mais même sur ce point, le grand écart synodal donne-t-il la certitude que françois marche sur ses deux jambes? L'adhésion de françois à ce modèle est-elle crédible?

    François fait pourtant un rappel utile: la société des "droits humains" [sic] ne doit pas faire oublier que l'homme est aussi un sujet de devoirs.

    Au lendemain de ce discours, un sujet du journal de "france culture" que j'écoute en écrivant ces lignes était consacré à célébrer les quarante ans du discours de Simone veil. Les producteurs des "matins" ne relayent le discours du discours du pape qu'en interviewant florian PHilippo, par ailleurs relégué par le discours centriste de François aux marges de la politique. Le péronisme est-il soluble dans l'eurobéatitude?

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  3. "le discours au Parlement européen me laisse l'impression d'une grande banalité" : en effet. mais le diable est dans le détail. d'une part justement la simple banalité du discours est un message : le Pape n'a rien d'autre à dire que ce que dirait Schultz, le président du Parlement européen, ou n'importe quel autre "socio-démocrate". le discours de l'Eglise se réduitt à la dimension sociale. d'autre part, dans ce discours le Pape fait une apologie du "processus" : non seulement le chemin se fait en marchant, mais la paix ne peut être ne peut être atteinte que par le processus, et encore, par un processus qui ne s'arrête jamais. le processus, c'est la paix etc. le paragraphe entier est une ode au modernisme en marche. message au monde : l'Eglise est définitivement acquise au modernisme, V II est derrière nous, nous sommes prêts pour la phase suivante. voilà le message important du Pape, qui nécessitait son déplacement. il est allé signifier son allégeance au monde.

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